Depuis quelques temps, malheureusement, j’ai pris l’habitude d’aller au Château de Vincennes. Pourquoi malheureusement ? Mais parce qu’il s’agit de rendre visite à mes potes en tôle, pardi ! Il y a quelques temps ils y ont collé mon petit Denis (Diderot), ensuite mon divin marquis (Sade) et ça ne cesse de continuer…
Je t’en foutrais moi des « Vincennes, vie saine» ! (vita sana, soit disant l’origine du nom).
D’ailleurs, je m’apprête à y aller, ça vous dit de venir avec moi ? Attendez, je vérifie que j’ai bien tout : le petit pot de beurre : check – le petit pot d’opium : check . Ok, c’est bon ! Direction le bois de Vincennes à la rencontre des grands méchants loups !
Allez, hop, c’est parti, suivez-moi !

Ruisseau dans le Bois de Vincennes où je me désaltère
Ca fait des plombes que je marche depuis Paris, mon capuchon me donne chaud, mon panier me déglingue l‘épaule et toujours pas de Pissotte en vue. Euh, non les amis, je ne suis pas en train de chercher des pissotières pour faire pipi ! Pissotte c’est le nom du bled à côté du château ! Il faudra attendre jusqu’à la révolution pour qu’il s’appelle Vincennes. (Comme quoi, cette dernière n’avait pas que du mauvais, n’est-ce pas les Vincennois ?)
Qu’est ce qu’il fait chaud, la vache ! Heureusement, j’ai toujours mon journal le Mercure de France pour m’éventer ! C’est un toc que je cultive avec soin depuis que Rousseau m’a raconté son histoire de ouf’ !
Figurez-vous que quelques années plus tôt, en 1749, alors qu’il allait justement à Vincennes rentre visite à notre copain Denis sous une chaleur comme aujourd’hui, il s’éventa avec le Mercure de France. Il tomba alors par hasard sur un concours de l’Académie de Dijon : ce fut la révélation !

Vue du château de Vincennes, Van Der Mulen
Il arriva comme un fou à Vincennes et en parla immédiatement à Diderot. Diderot l’encouragea à postuler, Rousseau écrivit son truc, et Paf : il gagne le concours et re-Paf : la célébrité du jour au lendemain ! (D’un autre côté à 40 balais il était temps…).
En ce qui me concerne, je ne tombe, en ce jour du 28 Juillet 1779, que sur des potins concernant Marie-Antoinette.
En admettant que j’en parle à Sade, à qui je vais rendre visite, tout au plus sera-t-il bon pour m’encourager à écrire un traité sur comment se taper la reine en levrette…(soupir) – (Lire : it’s Sade, so sad -Acte III)

Marie-Antoinette, Coppola
Ah… comme je regrette parfois ces temps où j’allais visiter Diderot au Donjon. Ce sont les rares fois, je crois, où je ne l’ai pas vu débordé, occupé de milles choses qu’il était entre son encyclopédie, ses essais, les salons, etc…
D’un autre côté, qu’est-ce qu’on a flippé en apprenant son arrestation !
C’était le 31 Juillet 1749 et on l’a cru enfermé là pour toujours ! C’est le problème avec les lettres de cachet, tu sais quand tu rentres mais tu ne sais pas quand tu sors.
Et l’autre neuneu de Jean-Jacques nous a fait sa Dame aux Camélia : il s’est à moitié évanoui puis a écrit à la Pompadour pour lui dire que si elle ne relâchait pas Diderot, il fallait qu’on l’enferma avec lui !

Denis Diderot
A mon avis, il n’aurait pas tenu longtemps le J.J., parce qu’ils n’ont pas été tendres. Ils voulaient absolument faire avouer Diderot qu’il était l’auteur de la « lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient ». Après ses « bijoux indiscrets », sa « promenade du sceptique » et « l’Oiseau blanc, conte bleu », il aurait mieux fait de la jouer « mignon » en faisant un petit coucou à Louis XV et un baisemain à son Poison, Euh… Poisson (La Pompadour, née Poisson !).
Mais non ! Au lieu de ça il en a rajouté une couche : et vas-y que je balance ma « Lettre » à Voltaire, et vas-y que je tape un scandale chez la Dupré de Saint Maure au sujet d’une aveugle. Pas étonnant que cette grognasse l’ait vendu à d’Argenson, le lieutenant de police du roi.
Enfermé dans une petite cellule crasseuse il n’avait droit à aucune visite. Le pauvre relisait sans cesse les 2 ou 3 livres qu’il avait réussi à emmener comme « l’apologie de Socrate » et le « Criton » de Platon ; en grec en plus… comme si la punition de la prison ne suffisait pas ! Quand je pense qu’il essayait des les traduire avec un cure dent en guise de plume et de l’ardoise pilée mélangé à de la gnôle en guise d’encre…
Heureusement qu’après 1 mois reclus dans le donjon, notre Jean Valjean a enfin eu le droit de faire « Causette » avec ses amis et même des balades dans la cour du château : Miracle !
En effet, le Misérable avait fini par avouer que ses œuvres étaient des « intempérances d’esprit qui lui étaient échappées ». Ces petites intempérances fugitives lui valurent peut être d’entrer 3 mois à Vincennes mais surtout d’entrer dans la Légende des Siècles ! Victor ! Oups… Victoire !

Château de Vincennes
On cause, on cause, mais j’aperçois enfin les tours de Vincennes. Entrons !
Oh, non… Pas de bol, faut qu’on tombe sur Rougemont, le gouverneur de la prison… Qu’est-ce qu’il me soûle, celui-là !
« Bonjour Mademoiselle de Riri, quel bon vent vous emmène ?
– Toujours le même, monsieur le Marquis, celui provoqué par les flatulences de notre cher Roi : ses lettres de cachets qui enferment mes amis chez vous.

Lettre de Cachet de 1703
– Oh, ce n’est point une manie de Louis XVI ! Ce château est prison d’état depuis notre grand Roi Soleil !
– Justement, on aurait apprécié que ses lueurs de jalousie éclairent un peu moins Vincennes, ce qui aurait évité à Fouquet de terminer ses jours à l’ombre !
– Et moi je m’en flatte Madame. Quel dommage que soient révolus ces temps honorables où la grandeur des prisonniers n’avait d’égale que leur crime. Nous avions alors le Grand Condé, meneur de la fronde, le jeune Henri de Navarre future roi des Français, le beau Cardinal de Retz… Aujourd’hui, hélas, nous n’avons plus que des braillards immoraux et autres petits « philosophes » à 2 sous la ligne dans ce noble donjon !
– Dis donc Rougemont, continue à parler de mes potes comme ça et j’encastre ta noble gueule dans ton noble donjon !
– Allons, allons, mon enfant, du calme. Changeons de sujet, voulez-vous ? Saviez vous que ce château fut la demeure de villégiature des rois de France depuis Philippe Auguste au XIIème siècle?
– M’en fous !
– Mais ce sont les Valois, et notamment Charles V au 14ème siècle que firent de Vincennes une vraie Cité Royale et qui lui donnèrent l’aspect que nous voyons.
– M’en fous !
– Voyez cette magnifique Saint Chapelle, c’est notre bon Saint Louis qui la fit construire pour y déposer une épine de la couronne du Christ.

Sainte Chappelle, Château de Vincennes
– Hum… Au fait, il paraît qu’il rendait la justice sous un chêne du bois de Vincennes, faudra que vous me le montriez à l’occas…
– Hélas, je ne le puis. Comme il était alors coutume, Saint Louis rendait la justice dans des endroits informels et accessibles, entre autre sous les arbres, mais non pas sous un en particulier.
– Pfff… vous n’êtes vraiment pas drôle Rougemont ! Je comprends pourquoi on vous a filé ce poste… Oh, tiens, vl’à Mirabeau ! Bon, ben… salut Marquis.
Hey, Honoré-Gabi, ça va ma poule ?

Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau
– Ça va… Je réfléchis aux inconvénients de troubler la paix d’un ménage malheureux comme on l’a demandé, mais je n’en vois point ; hormis celui de troubler la liberté du justicier que je me suis proposé d’être en y mettant un terme… »
(Petit aparté, les amis : Mirabeau vient d’arriver à Vincennes parce qu’il s’était enfuit avec la jeune épouse du vieux marquis de Monnier. Ne vous fiez pas à son énorme tête, sa peau vérolés et ses 2 grandes dents de lapin, car il n’y a pas que les dents qu’il a empruntées à ces rongeurs, il y a aussi la sexualité : c’est un méga-chaud lapin !)
« Oh, vous n’êtes pas si mal ici Mirabeau, ça aurait pu être pire ! Vous pouvez vous balader, on vous nourrit gratos, on vous file de l’encre et du papier. Vincennes c’est quand même le club Med comparé à la Conciergerie (Lire : La conciergerie, le dernier train pour l’enfer).
– Sachez, ma chère, que je suis assez peu occupé de tout ce qui est besoin purement physique. Ma plus grande douleur me vient de savoir ma bien-aimée Sophie enfermée dans une maison de correction. Quant à ma plus grande indignation, elle me vient de l’outrageuse injustice de ces lettres de cachet !
– Ouais, enfin sans la lettre de cachet, coco, tu aurais été jugé par le Parlement de Paris, autrement dit la justice publique, et ton histoire de cœur aurait pu finir sans ta tête…
– Je maudis cette justice tout autant que celle du roi ! Je veux tout à mon aise : forniquer, me décatholiser et me démonarchiser. Je veux une justice basée sur le droit des hommes, je veux proclamer des axiomes tellement simples, évidents et féconds qu’il serait impossible de s’en écarter sans être absurde. Je veux…
– Ok, ok, l’ami… et moi ce que je veux c’est aller voir mon copain Sade. Juste un conseil, parle moins « fort » si tu ne veux pas y terminer – dans le fort, hihi !

Entrée du donjon, Château de Vincennes
Ah… Nous y voici enfin, chez Monsieur le 6. C’est comme ça qu’ils appellent Sade, par le numéro de sa cellule.
– Sade, mon petit chat, où êtes-vous ?
– Hélas, belle enfant, où voulez vous donc que je sois, enfermé dans une cellule de 10 pieds carré ? Et par tous les saints que j’exècre, ne m’appelez pas petit chat, vous me fendez le cœur !
– Je ne vous savais pas l’âme si sensible pour les animaux, cher ami, seriez-vous devenu zoophile ?
– Vous me flattez ma chère, mais non, c’est beaucoup moins poétique que cela : figurez-vous que cela fait 6 nuits blanches que je passe car des souris me dévorent et ne me laissent pas reposer un seul instant. J’ai donc demandé un chat pour les détruire.
– Et alors ?
– On m’a répondu que les animaux étaient interdis, ce à quoi j’ai répondu : « Mais bêtes que vous êtes, si les animaux sont défendus, les rats et les souris doivent l’être aussi ! »
– C’est pas qu’ils sont bêtes, c’est que ce sont des bêtes !

Sade dans sa cellule
– Vous ne faites pas si bien dire, voyez-donc : je suis dans ma chambre comme dans une écurie et ces chevaux de fiacre trouvent cela normal, évidemment. Ils refusent de faire ma barbe et ma chambre !
– Vous êtes quand même dans une prison mon poulet !
– Prison ou pas, vous trouverez bon que pour moi les chevaux de fiacre sont faits pour être rossés ou pour servir le public à toutes sortes d’heures et de jour.
– Si tu t’étais contenté de rosser des chevaux de fiacre, comme tu dis, et pas une jeune donzelle, tu n’en serais pas là gros malin ! (Lire : It’s Sade, so sad – Acte II)
– Ah, économisez-vous la fatigue d’une remontrance, ma mie, car mon abbesse de tante s’en est déjà chargée dans sa lettre !
– Tant mieux !, J’espère que vous prenez conscience qu’on ne peut pas coller des hosties dans le cul des filles tous les 4 matins (Lire : It’s Sade, so sad -Acte I)
– Je prends surtout conscience que j’ai le malheur d’avoir hérité de l’esprit dérangé de ma famille. Tenez, voici un extrait de la réponse que je lui ai faite : « Pardonnez mes travers, chère tante, c’est l’esprit de famille que je prends, et si j’ai un reproche à me faire, c’est d’avoir eu le malheur d’y être né. Dieu me garde de tous les ridicules et vices dont elle fourmille. Je me croirais presque vertueux si Dieu me fait grâce de n’en adopter qu’une partie. Recevez, ma chère tante, les assurances de mon respect »
– Rhooo… ça abuse ! Vous n’allez pas lui envoyer ça quand-même ?

Cour pour les prisonniers du donjon de Vincennes
– Et comment ! On me tient enfermé comme un animal de ménagerie, on me bafoue, on me maltraite et on pense ainsi corriger mes travers ? Quel principe imbécile ! Si j’avais eu Monsieur le 6 à guérir, moi, je m’y serais pris bien différemment, car au lieu de l’enfermer avec des anthropophages, je l’aurais clôturé avec des filles. Quant on a un cheval trop fougueux, on le galope dans les terres labourées, on ne l’enferme pas à l’écurie !
– Vous n’êtes pas enfermé à l’écurie, vous avez le droit de vous promenez dans la cour ! Alors oui, il y ce gros relou de Rougemont et ses sbires…
– Ce n’est rien de le dire, ils sont toujours là à me faire enrager. Mais je fais comme le dogue : quand je vois toute cette meute de roquets aboyer après moi, je lève la jambe et je leur pisse dessus !
– Et bien mon petit Marquis chéri, je remercie Louis XVI de vous avoir mis à Vincennes, parce que sinon, le dogue aurait déjà eu la corde au cou et la queue… entre les jambes (quel dommage !).
Notes
Les dialogues du comte de Mirabeau et du Marquis de Sade proviennent de leurs lettres respectives écrites lors de leur détention au château de Vincennes ou de leur propres déclarations.
Infos Pratiques
Adresse : Avenue de Paris, 94300 Vincennes
Horaires : De 10h à 18h. (17h en hiver)
Tarif : 8,5€ – Tarif réduit : 5 ,5€
Tel : 01 48 08 31 20
Site web : http://www.chateau-vincennes.fr/
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