Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, on ne parlera pas de femmes à poil (si vous êtes vraiment trop déçus, lisez : l’Art du Nu ).
On ne parlera pas de tableaux non plus…
Pourquoi ? Parce que tout est déjà dans l’expo Jacquemart-André pardi !
Or chez Histoire Très Personnelle on ne réchauffe pas les plats, foi d’animal ! On savoure de l’inédit !
Donc aujourd’hui on parlera de femmes avec des femmes ; on parlera de peinture avec des peintres ; et surtout on parlera de Désirs et de Volupté à une époque de morale et de rigidité.
Car voilà le meilleur moyen d’y arriver ! A quoi ? Mais au Désir et à la Volupté pardi !
Direction l’Angleterre, en pleine époque victorienne : une exposition comme vous n’en avez jamais faite!
Allez hop, c’est parti, suivez-moi !
Avant de déguster une belle tranche d’Art, il va falloir se taper une petite tranche de lard (pays rosbif oblige !) : l’époque Victorienne.
Mais non, je ne vais pas tailler en pièce la grosse reine Victoria ! Quoique je devrais, car depuis le début de son règne en 1837, celle-ci nous sert de l’étouffe Chrétien, ou plutôt devrais-je dire de l’étouffe chrétienne : bonne morale, misère sociale et femmes martyrisées.
Vous ne me croyez pas ? Moi non plus je n’y croyais pas… jusqu’au jour où j’ai du partir en urgence voir mon ami Darwin (il m’a pété un boulard au sujet d’une histoire de sélection naturelle à dormir debout).
Autant vous dire que la perspective de traverser la manche pour me prendre leur flotte sur le brushing et respirer leur fumée de charbon (ils sont en plein révolution industrielle) ne m’enchantait pas vraiment… Puis je me suis dit : « vois le bon côté des choses, le père Darwin a un super carnet d’adresses, tu vas en profiter pour networker à donf et pécho les numéros de Dickens et d’Oscar (Wilde) ! ».
Ben mes amis, si je m’attendais à ça !
Je me suis en effet retrouvée dans de magnifiques salons cossus mais avec… des femmes, que des femmes, trop de femmes. De belles femmes au demeurant, assorties à leurs beaux parquets en marqueterie et leurs belles cheminées en faïence de Delft.
Bon, mais moi je n’avais pas fait tout ce chemin pour craquer à 3 mètres de la bouteille de Cherry et encore moins pour participer à la déco intérieure d’un salon victorien.
« Et bien Mesdames, ce fut un plaisir de faire la potiche avec vous mais je vais rejoindre ces Messieurs au fumoir car je meurs d’envie de m’en griller une !
– Bonté gracieuse, vous n’y pensez pas ! Laissez ces Messieurs discuter affaires et politique car nous n’y entendons rien.
– Ah bon ? Parce qu’il y a besoin d’être un bonhomme pour comprendre que chez moi, le Hollande est un mou du genou et chez vous, la Victoria une coincée du cul ?
– Oh God ! Parlez-moins fort, plait-il !
– Ok darling, ne vous indignez pas comme ça vous allez faire péter une baleine de votre corset !
– Je me casserais une côte avant de casser une baleine de cet instrument de torture, my dear ! Mais à quoi bon le nier, notre condition de femme est à l’image de ce corset…
– Ah… ça commence à être intéressant ! Vas-y balance !
– Let’s be short : nous sommes la chose des hommes. Tous nos biens personnels sont propriété de nos maris, nous ne possédons rien, et évidemment pas de compte en banque…. Ni le droit de voter, ni celui de travailler, et encore moins celui de divorcer. Lors d’une séparation, nous n’avons pas la garde de nos enfants et nous pouvons même être interdites de les voir.
– Attends, tu m’embrouilles là, tu viens de me dire que tu ne peux pas divorcer !
– Mais notre mari peut nous mettre à la porte à tout moment !
– What the fuck ? Faut partir en guerre les gonz…
– How ?
– Je sais pas… vous vous rassemblez, vous vous écrivez « ni putes ni soumises » sur les nichons, vous vous collez une couronne de fleurs sur la tête et vous descendez en bas de chez vous en braillant : « Girls Power ! »
– Faire la prostituée ? Vous n’y pensez pas ! Nous ne serions plus rien aux yeux de la société, déjà que nous ne sommes pas grand chose mais si nous perdons toute vertu morale… Non, nous préférons nous évader.
– Right ! Se barrer, c’est encore mieux, c’est ce que j’appelle avoir des balls !
– Vous n’y êtes pas my dear ! Nous nous évadons par la pensée, grâce aux romans, à l’art…
– La belle affaire ! Bon, Mesdames, je vous laisse à vos grandes évasions, moi je vais me dégourdir la crinoline au fumoir et je vais m’envoyer un coup de Brandy derrière la dentelle. »
J’arrivais au fumoir et tous les regards de ces mâles convergèrent vers moi.
« Hello, everybody ! Faites comme si je n’étais pas là ».
J’allais m’asseoir dans un coin près de la cheminée en chopant au passage un verre et un cigare. Je ne connaissais pas les trois-quarts des hommes qui se trouvaient là.
Ça parlait de la toute récente machine à vapeur inventée en Angleterre, des nouvelles machines textiles, de placements financiers… Je décidais d’aller me resservir un petit verre pour ne pas m’endormir, quand, chemin faisant, je tombais sur une bribe de conversation qui me flatta les oreilles :
Un homme un peu débraillé disait : « l’art anglais est sclérosé, tout ce conformisme, toute cette bonne morale, voilà qui le tue ! ».
Un autre jeune homme aux cheveux longs et fort à mon gout lui répondit : « Yes, indeed ! Commençons par nous débarrasser de cette renaissance italienne décadente et poussiéreuse et on se débarrassera de cet académisme victorien ! Il faut être vrai, il faut être hardi, et au diable la bonne morale!
– Tu l’as dit bouffi ! Y’en a marre des goûts de chiottes ! » ça c’est moi avec un verre de trop (ça attaque le Brandy !) et qui aurais mieux fait de la fermer. Trop tard :
« Désolée Messieurs, j’ai les étiquettes qui chauffent et je ne sais si c’est à cause de l’alcool, de la honte ou du plaisir de vous écoutez ! A qui ai-je le bonheur de m’adresser ?
Le beau jeune homme aux longs cheveux m’adressa un large sourire :
– Je suis Dante Gabriel Rossetti et voici mon ami John Everett Millais, nous sommes peintres.
– Des artistes ? Je bois à votre bonne santé, alors ! dis-je en sifflant mon godet d’une traite. Et quel genre de peinture faites-vous ?
– Dante et moi-même inventons un mouvement : le préraphaélisme, lança le Sir Millais avec orgueil. Pour cela, nous nous inspirons du style des primitifs italiens.
– Rhooo… Vous peignez des mammouths avec vos mains ? Hihi-hic, pardon !
– Of course not ! Il s’agit des prédécesseurs de Raphael. Nous aimons leur audace des couleurs vives, leur vérité dans la minutie du détail. L’art doit émouvoir !
– Et produire de l’absolument beau ! renchérie Rossetti.
– Il suffit donc de faire votre auto-portrait bel ami ! minaudais-je.
– Vous me flattez et c’est chose faite Miss, mais vous peindre nue serait plus opportun pour atteindre notre idéal !
– Et moi le nirvana, j’en suis sûre ! Mélangeons donc nos arts, et je….
– Oh voici Lord Leighton ! » me coupa Millais en désignant un grand homme barbu.
Je foudroyais du regard celui qui foutait ainsi en l’air mon plan drague et m’apprêtais à tourner les talons, lorsque le Leigthon en question lança :
« La nudité d’une belle femme est en effet l’esthétisme le plus abouti. Si je n’avais pas ma petite Dorothy Dene, vous seriez ma muse, belle demoiselle. »
– Hey, y’a pas écrit bitch ! C’est pas parce que j’ai un coup dans l’aile quand tu vas pouvoir m’en mettre un, jerk ! M’écriais-je mi-offusquée, mi-bourrée.
– Ne vous fâchez pas ainsi young lady, me dit le beau Rosseti, voici un de nos amis qui a lancé le courant « Arts & Crafts », ce que vous appelez en France : l’Art pour l’Art.
– Oui, répondit Leighton, comme nous recherchons le beau avant tout, la femme est donc le centre de notre intérêt. Cette époque victorienne la cache, l’amoindrit, en un mot la tue ! Voilà donc pourquoi l’Art en pâti . Or, mélangez le visage et le corps d’une femme avec la poésie de l’imaginaire et vous obtiendrez la beauté parfaite.
– Ou un bon film de cul ! haha ! Je lis la stupeur sur les visages . Ben quoi ? Le mélange d’un corps de femme avec l’imaginaire d’un mec, ça donne rarement de la poésie au 21ème, ch’peux vous dire ! »
Étant passablement éméchée je riais de ma blague potache sans me préoccuper de l’air surpris de mon auditoire.
« Je ne sais de quoi vous parlez my Lady, se récria Leighton, mais notre imaginaire à nous se nourrit uniquement de belles choses : de légendes médiévales, avec ses femmes enchanteresses à la dangereuse beauté (cf. Beautés Vénéneuses) ; de poèmes à la Shakespeare qui chantent la mélancolie et l’amour ; mais aussi des extraordinaires découvertes archéologiques faites récemment à Pompéi ou en Egypte.Voilà bien un paradis perdu, cet âge d’or où le plaisir et le soleil habillaient la femme d’un voile de bonheur aussi pur et parfait que celui qui couvrait leur corps. Chaque inspiration se doit d’être à la hauteur de notre sujet qui est la femme. Son corps et son esprit sont un honneur quant on voudrait nous ne les faire passer pour une honte !».
J’aurais voulu applaudir cette envolée lyrique que je trouvais absolument géniale, mais si je comprenais le sens de chaque mot j’avais pourtant du mal à capter l’ensemble. Je m’envoyais un énième verre de Brandy pour faire bonne contenance.
Voyant mon trouble, ou plutôt mes yeux troubles, mon joli Rossetti ajouta :
« Allez donc voir les fabuleuses peintures d’Alma-Tadema ! Ce cher confrère romantique est passionné d’Histoire. Il a lancé la mode du Classic Revival. On l’appelle le peintre du marbre car nul ne réalise mieux que lui la veine de cette pierre battant dans la blancheur de….
Et je ne me souviens pas de la suite… Peut-être ai-je terminé la crinoline sur la tête en dansant façon Beyoncé sur du Jean Sébastien Bach… Peut–être… Surement même, hélas.
Quoi qu’il en soit, le lendemain j’étais aussi honteuse que furieuse. J’en aurais chialé de ne pas avoir réussi à rencontrer Wilde ou Dickens ! Finalement je me décidais à aller voir les œuvres de ces jeunes artistes que j’avais rencontrés la veille.
Je fus saisie ! Je n’avais jamais vu de femmes aussi troublantes et aussi belles, parce qu’aussi vraies : vraies dans leur pudeur, vraies dans leur courage, vraies dans leur solitude, vraie dans leur simplicité. Et ce ne sont pas seulement Agrippine ou Antigone que j’ai vues, ni la reine Esther ou la fille de Pharaon ; c’est moi que j’ai vue ! C’est nous, les femmes, qui étions là. Ces artistes avaient peint des femmes pour mieux dépeindre la femme. Je n’aurais jamais cru que cela soit possible… et encore moins par des hommes.
J’en aurais chialé, d’avoir réussi à rencontrer de tels artistes…
Notation et Infos pratiques
Note : 8/10
Le plus : Très belles œuvres d’une époque méconnue qui ne demande qu’à l’être ! Voyage garanti dans un Orient ou une Antiquité fantasmée, comme dans les salons feutrés de l’époque Victorienne.
Le moins : on aimerait des explications sur plus de tableaux et dommage qu’il manque les plus grandes oeuvres de certains des peintres (L’Ophélie de Millais, etc…)
Exposition :
Date : 13 Sept – 20 Janvier 2014
Adresse : Musée Jacquemart-André – 158 boulevard Haussmann 75008 Paris
Horaire : Ouverture de 10h à 18h. Nocturne le lundi et samedi : 20h30
Tarif : Plein tarif 11€, tarif réduit 9,50€
Tel : 01 45 62 11 59
Site web : http://www.musee-jacquemart-andre.com/fr
Super docu sur une période artistique qui m’était peu connue. Emouvant , plein d’humour.
Bonjour,
grâce au blog de « chienne de vie…je t’aime! » me voilà chez vous. Déjà d’entrée l’acceuil est plaisant , on a envie de chanter : »Que la structure est belle… » . Une fois entré, après un rapide coupd’oeil à toutes les pièces on se dit queça frole la perfection chère à ce bon vieux Michel-ange et les propos de l’hotesse me laissent sans voix. On déguste vos paroles et on en redemande encore jusqu’à plus soif. Alors quand vous annoncez à une amateur de cinéma qu’on est pas au bout des surprises alors-là je craque; j’ai vite intégré le cercle des initiés
A plus belle DEESSE!
Excellent et aussi très intéressant.
Une manière décalée et drôle de nous cultiver!
J’ai beaucoup aimée.