La monarchie vient de tomber avec la tête de Louis XVI et c’est tout un système de pensée qui s’écroule…
Vous imaginez ? La monarchie qu’on connaissait depuis la nuit des temps, cette monarchie puissante, rassurante, qui d’un seul coup s’effondre dans un flot de sang !
D’un côté on exulte, de l’autre on a grave les pétoches.
Ne serait-ce pas Satan en personne qui serait descendu sur terre ? Et si on allait voir ça de plus près ?
Allez hop, c’est parti, suivez-moi !
Nous sommes au tout début du 19ème et Satan semble s’être invité à l’inauguration de ce nouveau siècle. On ne lui avait jamais autant tiré le portrait au milieu de visions apocalyptiques : du « Pandémonium » de Martin au « Déluge » de Géricault en passant par la « Veille d’Apocalypse » de Colman, le Malin est définitivement parmi nous.
Et c’est sans parler de ces visions de l’enfer, où Satan se dévoile, où Satan se dénude, où… Mon Dieu ! (enfin… Lui, on le cherche), Satan est sublime !
« Satan est le plus parfait type de beauté », dira Baudelaire, et on est bien d’accord avec lui.
Pour une fois, on est loin des diables velus et rabougris du Moyen-Age, regardez donc « l’Adam et Eve » de Füssli (si vous cherchez Satan dans ce tableau, c’est le beau mec à poil, complètement à droite).
Il est tellement beau l’animal, qu’il séduit les plus pures et les plus belles vierges. Il les pervertit puis les abandonne… ben oui, sans surprise…
Les pauvres femmes en deviennent folles, comme Marguerite dans le « Faust » de Goethe ou « L’Ophélie » de Hamlet (aujourd’hui, ce Satan existe toujours, mais on l’appelle Salaud ! – et il se prend toujours des coups de lance, hein les filles ?!).
Les romantiques adorent ce concept de la vierge au corps nu sous l’emprise d’un Méphistophélès tendu de désir, et ce n’est pas notre cher Marquis de Sade qui nous dira le contraire !
« Mais Madame, pourquoi donc me citez-vous ?
- Parce qu’il me semble bien que c’est vous qui avez écrit « Justine ou les Malheurs de la vertu », n’est ce pas ?
- Oh ! Ne m’en parlez pas, voici une œuvre par combien trop immorale. C’est que j’avais besoin d’argent, voyez-vous, alors comme mon éditeur me le demandait bien poivré, je lui ai fait capable d’empester le diable ! Héhé… ».
PS : Si, si, Sade a vraiment dit ça mot pour mot ; mais si seulement il n’avait dit que ça (Soupir)… (lire it’s Sade, so Sade)
Comme je vous le disais précédemment, les romantiques affectionnent aussi particulièrement le thème de la folie féminine, qui fait logiquement suite, comme Füssli avec « La Folie de Kate » (encore le prédicateur suisse ? Rhooo… coquin !) (Lire Inconscient et Révolution).
Vous l’avez compris, la révolution a ouvert la voie(x) au Romantisme Noir : on montre le macabre, l’inavouable, l’odieux, alors qu’avant il fallait bien planquer tout ça. Les romantiques font le grand ménage de printemps : on ouvre les placards et on y sort toutes les horreurs accumulées.
D’ailleurs, ils en ont trouvé une « collector », dont je ne vous ai pas encore parlé ; je vous gardais le meilleur pour la faim, euh… pardon, la fin :
Le cannibalisme !
Ça, c’est le pompon des sujets du Romantisme Noir, plus noir, tu meurs ! Et pour cause, cannibalisme = fin de l’humanité.
Plusieurs artistes s’engouffrent dans cette thématique et la traite avec brio.
Il faut dire qu’avec le naufrage de la Méduse qui a défrayé la chronique en 1816, il y avait matière ! Ou plutôt manque de matière : ils partirent à 147 bonhommes sur un radeau de fortune après qu’un vieil amiral (qui n’avait pas vogué depuis 20 ans ; cherchez l’erreur !) ait naufragé son bateau (La Méduse, faut dire qu’avec un nom comme ça, aussi…). Bref, ils revinrent finalement à… 15 ! Où sont passés les autres ? Glourp…
Bien sûr, vous connaissez tous le célèbre tableau de Géricault « Le Radeau de la Méduse ». Ce n’est pas une œuvre montrant du cannibalisme à proprement parler (patience, on y vient !) mais enfin c’est bien de mort et de cannibalisme dont il est question.
Géricault se passionne pour ce sujet.
Il s’abreuve des récits de deux survivants du radeau, il les fait même poser pour sa toile (comme ce n’est pas assez, il chope aussi son pote Delacroix). Il pousse le réalisme jusqu’à prendre des têtes et des membres de cadavres à la morgue qu’il fait pourrir dans son atelier, histoire de suivre les processus de décomposition de près, et de mieux le retranscrire sur sa toile. Inutile de vous dire que ça fouette sévère dans l’atelier, et pourtant, interdiction formelle de bouger (alors vomir, vous n’y pensez pas !) pour les pauvres modèles qui prennent le pause pendant des plombes ; un seul bruit, un seul mouvement et c’est le pétage de plombs assuré du maître. Pas étonnant que son jeune assistant (celui qui fait le mec mort entrain de tomber à l’eau à droite) se soit fait la malle pendant des jours.
Comme quoi, Géricault, il vaut mieux le voir en peinture…
Maintenant qu’on a rhabillé Géricault pour l’hiver, passons à Bouguereau. Et là, c’est un Bouguereau différent de celui qui nous montrait des pubis de Vénus et des nichons d’Oréade (lire l’Art du Nu).
Quand Willy, de son petit nom, s’attaque au cannibalisme, fini de rigoler, il impose le silence et la toile en impose. C’est qu’ici, voyez-vous, on mange de la chair humaine sur 2m80 par 2m25.
C’est du grandiose, du splendide, que dis-je, du « terribilita » comme disent les ritals.
« Dante et Virgile » (inspiré de la divine comédie de Dante) se retrouvent tous les deux dans le huitième cercle de l’enfer (celui réservé aux faussaires). Ils assistent à une scène de cannibalisme de derrière les fagots entre deux damnés : la veine éclate, le muscle se tend, l’os craque… On voit tout, et même qu’on entendrait tout, tellement c’est réaliste !
Théophile Gaultier lui-même n’en revient pas : « Le Gianni Schicchi se jette sur le Capocchio, son rival, avec une furie étrange, et il s’établit entre les deux combattants une lutte de muscles, de nerfs, de tendons, de dentelés dont M. Bouguereau est sorti à son honneur. Il y a dans cette toile de l’âpreté et de la force. La force, qualité rare ! ».
Pourtant de la force, ils n’en manquent pas tous ces artistes du Romantisme Noir, car avant de déclencher les peurs des honnêtes gens, c’est d’abord les leurs qu’ils affrontent.
La peur de l’inconnu, ce gouffre vertigineux, qu’il soit politique, sociétal… Mais aussi et surtout la peur de soi-même… Il y a du sublime dans cette peur affichée, revendiquée mais indomptée, toujours…
Comme disait Hugo : « Celui qui médite vit dans l’obscurité. Celui qui ne médite pas vit dans l’aveuglement. Nous n’avons que le choix du noir. »
Fini la joliesse dans l’art, la violence de ces œuvres n’a d’égale que celle qu’elle provoque chez le spectateur, la vôtre, donc…
Le Romantisme Noir a ouvert la voie à un nouvel art, peut-être de mauvais goût diront certains, mais qui prospérera ; d’abord dans le symbolisme vers 1860, puis dans le surréalisme vers 1920.
PS : A ceux-là même qui déploreraient le mauvais goût du Romantisme Noir (Lire Inconscient et Révolution), je leur lance cette phrase de Baudelaire : « Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire ! ».
Notation et Infos pratiques
Note : 8/10
Le plus : Très belles œuvres et bonnes explications. Expo bien scénarisée, comme sait le faire le musée d’Orsay.
Le moins : c’est long ! L’expo regroupe 3 mouvements (romantisme noir, symbolisme et surréalisme). Que du très intéressant (même si le surréalisme me parle moins) mais dur de rester concentré jusqu’à la fin !
Exposition :
Date : 5 mars – 9 juin 2013
Adresse : Musée d’Orsay – 5 Quai Anatole France, 75007 Paris
Horaire : Ouverture de 9h30 à 18h. Nocturne le jeudi : 21h45. Fermé le lundi
Tarif : Plein tarif 12€, tarif réduit 9,50€
Tel : 01 40 49 48 14
Site web : http://www.musee-orsay.fr
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Merci pour cet article qui présente des oeuvres vraiment sublimes et que je ne connaissais pas nécessairement (en même temps, c’est facile) ! Personnellement, j’ai trouvé le tableau de *Dante et Virgile aux enfers* super sexuel. Ce baiser cannibale dans le cou, entre deux hommes tout nus, sans vouloir jouer à perverse mémère, je trouve ça très érotique !