Fraichement arrivée au 17ème siècle chez ma copine Marie de Guise, en ce week-end de Pâques, je comprends rapidement que je ne vais pas me marrer… du tout… (Lire : Nom de Dieu ! Verset 1)
Débarquer en plein Carême, un Vendredi-Saint, c’est encore pire que de se mater Arte à 5h du mat’, car en plus, on ne peut pas boufffer ! Soudain, j’aperçois une lueur d’espoir lorsque Marie me raconte les étranges événements qui ont lieu au couvent des capucines : religieuses « revivant » les stigmates du Christ…
Bref, il n’y a plus de temps à perdre en ce ce jour de Vendredi Saint : direction le couvent des folles-dingos !
Allez hop, c’est parti, suivez-moi !
J’arrive de bon matin et de bon entrain place Vendôme. La petite chaise à porteur dans laquelle je suis secouée comme un prunier, s’arrête enfin devant le couvent des capucines qui occupe toute une partie de la place.
Je descends et frappe à la lourde porte en bois. J’ai l’impression de m’apprêter à monter dans le train fantôme d’une fête foraine, j’ai délicieusement les chtouilles !
Une petite trappe s’ouvre brusquement et … un homme ? Ah non, une femme avec de la moustache ! me demande sèchement :
« Qui êtes vous ?
Je prends l’air niais et recueilli des Vierges touchées par la grâce que j’ai vu dans les tableaux de Raphael.
– Je suis une humble pécheresse, ma sœur, que la famille de Guise, dans sa grande mansuétude, vous recommande. Je souhaite éprouver ma foi auprès de Jésus Christ notre Sauveur en ce jour de sa Crucifixion sur la Croix. »
Puis je me signe dans une génuflexion, qui, tout comme mon biblio-blabla, font partis du plan soigneusement élaboré la veille avec Marie (Lire : Nom de Dieu ! Verset 1). Ça marche ! La bonne sœur « hipster » avec sa moustache, me laisse entrer.
Je suis conduite tout schuss à la messe. Je fais un planté de missel au dernier rang et je chasse la nonne de l’œil, dans l’espoir que l’une d’elles partent en dérapage de saintes-scarifications.
Rien…
Finalement c’est moi qui pète les plombs : 3 heures de litanie en latin ont raison de ma raison et la position à genou sur les dalles de pierre a raison de mes ménisques.
Ah… le manque de pratique !
Je ne vois plus qu’une solution : me barrer de cette piste noire.
Après une rapide étude du terrain (miné de bonnes sœurs), deux options s’envisagent : faire une série de roulades arrières ou une galopade à quatre pattes.
Étant nulle en gym, j’opte pour la deuxième option.
Quelques minutes plus tard, je m’écroule dans un râle de douleur et de soulagement sur un banc de pierre devant la chapelle. Des religieuses passent devant moi dans leur accoutrement gris, large et tombant ; j’ai l’impression d’assister à un défilé Céline ! Tout à coup, une d’elle retient mon attention : en total look Margiela, elle est accoutrée d’une simple robe de bure, les bras chargés de bandages. Dieu (le vrai, pas Karl !) doit les aimer « slim » car la pauvre est encore plus maigre que Kate Moss…
Reprenant mon air évangélique de « Vierge aux Rochers », je l’interpelle :
« Ma sœur, par pitié pour ma pauvre âme, daignez m’entretenir de la Passion du Christ. »
Elle s’arrête et tourne vers moi un petit visage tout émacié. La jeunesse et la beauté ont du mal à triompher de sa maigreur. Sa peau translucide semble prête à se déchirer sur l’ossature de ses hautes pommettes.
« Je m’apprête à la revivre mon enfant, me dit-elle, je vous invite à faire de même. Mais je dois d’abord porter secours à sœur Marie-Dorothée, que Jésus, dans sa grande miséricorde, à bien voulu honorer dans sa chair.
Je ne suis pas sûre d’avoir tout capté, je le lui dis.
– La plaie du Christ s’est manifestée à la mamelle de sœur Marie-Dorothée, m’explique-t-elle avec ferveur. Il l’a élue pour lui faire partager sa Passion. Depuis des mois, elle sent le feu dévorant de sa crucifixion de la manière la plus douloureuse et le plus aiguë qu’il soit en son sein. Mais comme notre Sauveur veut que l’on montre humilité en toute chose, sœur Marie-Dorothée ne fait point état de sa bénédiction. »
Je suis effarée par de tels propos. Ma curiosité piquée au vif, je suis religieusement ce petit rat de monastère. Je constate qu’elle boite, je me propose donc de l’aider à porter ses accessoires « Margiela » afin qu’elle ne se pète pas le dos, qu’elle a déjà fort décharné.
« Ne vous préoccupez point de mon corps, pas plus que vous ne devez vous préoccuper du vôtre ; cette vile chose est source de tous les pêchés, lance-t-elle froidement. »
Je planque aussi sec ma french manucure dans mes manches, et je me félicite au passage de n’avoir mis qu’une BB crème ce jour là.
Puis elle ajoute de sa voix fluette :
« Il faut infliger à cette chair honteuse le châtiment qu’elle mérite. Aut pati, aut mori ; il faut souffrir ou mourir.
J’opine chaleureusement du chef, sentant que je suis tombée sur le bon numéro.
– Comment puis-je faire, ma sœur, pour châtier ce corps ennemi comme il le mérite? Dis-je aussi sérieusement que mon hypocrisie me le permet.
– Je ne suis qu’une pauvre créature et mon châtiment est bien trop doux pour être l’enseignement du Christ, qui lui a souffert justement pour tous les hommes. Aussi, ne puis-je vous conseiller, mais voici la discipline que je m’applique : je porte un épaisse ceinture de crin serrée autour de la cuisse, qui meurtrit profondément et sans répit mes chairs. Son visage s’illumine : ma robe n’est jamais plus belle que teinte de sang. Je pratique l’ascèse depuis des années.
– L’ascèse ? C’est à dire que vous mangez que dal, ma sœur ?
– Je m’astreins à de longues périodes de jeûnes durant lesquelles je n’absorbe aucune nourriture. Le reste du temps j’ingurgite un peu de pain rassis mêlé de cendres que je trempe dans l’eau fétide provenant des issues des cuisines.
– Ok, en gros le reste du temps vous dégueulez…
– Je quoi ?
– Non, rien, ma sœur… »
Je suis tellement estomaquée (c’est le cas de le dire), que je remarque à peine que nous sommes entrées dans une petite cellule toute sombre.
Dans la pénombre, je découvre une forme allongée à même le sol. Une femme est étendue là, elle se redresse avec difficulté.
Elle lève vers nous un visage contracté de douleur que la mort semble avoir imprimé de son sceau. Seules les prunelles luisantes, profondément enfoncées dans leurs orbites, indiquent la vie. Elle grimace un sourire.
Ma petite bonne sœur s’agenouille près d’elle et soulève sa chemise. Je découvre avec stupeur un spectacle qui manque de me faire défaillir : une plaie béante et purulente remplace son sein gauche. Je réprime à grand peine un haut le cœur, ce que voyant la pauvre créature malade, me dit :
« C’est un cancer dont Jésus Christ, dans sa grande bonté, à bien voulu me faire grâce. Nous souffrons ensemble dans notre chair. Puisse notre douleur sauver de pauvres âmes… »
Elle n’a pas le temps de finir sa phrase qu’une terrible odeur âcre de chairs en putréfaction se répand dans la pièce.
Ma petite bonne sœur « Margiela » et moi-même avons une violente nausée. Je me jette en dehors de la cellule, juste à temps pour ne point inonder la pièce d’un autre miasme nauséabond qui pour l’heure vient se répandre sur un magnifique chèvre-feuille. Peut-être que l’odeur de l’un compensera celle de l’autre…
Ma sensiblerie « 21ème siècle » me fait honte, et par égard pour la pauvre malade, je rassemble mon courage et décide de retourner dans la pièce en me fustigeant d’un « Allez grosse, t’en as vu d’autres ! ».
J’espère que ma petite bonne sœur a mieux su contenir sa « sensiblerie » nauséeuse que moi.
Je m’arrête net sur le seuil de la porte, effarée : elle est en train de s’administrer de grands coups avec une sorte de fouet à chaines qui lui déchire cruellement le dos.
Sœur Marie-Dorothée ne semble pas s’émouvoir outre mesure :
« Ne vous donnez point la discipline pour si peu ma sœur, lui dit-elle.
– J’ai péché rétorque l’autre en sanglotant, Notre Sauveur vous a envoyé ces douloureuses plaies que vous endurez avec sainteté, alors que moi, je ne suis même pas capable de les laver. Elle se met pratiquement à hurler, se contorsionnant de douleur :
– Je suis pire que Marie-Madeleine, je suis une pécheresse perdue, je mérite la mort ! »
Folle de désespoir, elle se précipite sur sa compagne et se met à lécher la plaie purulente.
Je contiens avec difficulté une nouvelle nausée en me mordant les lèvres jusqu’au sang. Puis, recouvrant mes esprits, je l’arrache d’un geste brusque à son odieuse besogne.
Elle marmonne dans des hoquets :
« Laissez-moi faire ce baiser franciscain… que je rachète mon corps impie… qui se refuse aux épreuves de Dieu »
Je dois presque la soulever de terre pour la contraindre à sortir de la cellule, ce qui s’avère assez aisé, puisqu’elle pèse à peine plus que mon chat. (NB : j’ai un chat obèse)
Je l’ai à peine lâchée, qu’elle se jette sur mon vomi et entreprend, là aussi, de le lécher.
« Je dois me mortifier pour soulager mon prochain, balbutie-t-elle.
Je la secoue en hurlant :
– C’est pas fini ces conneries ! »
C’est finalement la pauvre sœur malade qui, s’extirpant douloureusement de la cellule, arrive enfin à la calmer.
« Venez, lui dit-elle, je vais vous donner le moyen de laver votre péché. »
Ce disant, elle humecte des bandes de tissus dans la plaie sanglante de sa poitrine, qu’elle lui tend. J’observe avec horreur la petite nonne les prendre dans un sourire radieux et les fourrer sous sa robe de bure… J’aperçois, par là-même, la maigreur stupéfiante de ses membres qui révèle un stade avancé d’anorexie sévère, sans compter le cilice qui lacère sa pauvre cuisse.
C’en est trop. La tête me tourne, je sors en titubant dans un état second.
Tout à coup, croisant un crucifie, je tombe à genou et m’entends murmurer :
« Mon Dieu, sauvez vos malheureuses créatures ! »
Ce fut, ce jour là, ma première prière. Vraie, sincère.
Notes
Tout ce que vous venez de lire est malheureusement (et heureusement !) vrai.
Les personnages sont tirés de personnes réelles, telle Soeur Marie-Dorothée, Marie-Dorothée de Flottée de son vrai nom, qui meurt du cancer du sein en 1693 à la Visitation d’Albi, dans les conditions décrites ci-dessus.Les faits et déclarations de ma petite bonne soeur « Margiela » sont tirés de biographies de religieuses ou de texte hagiographiques. Ainsi les mentions :
« Aut pati, aut mori » est une célèbre devise thérèsienne.
« Ma robe n’est jamais plus belle que teinte de sang » est une déclaration de Catherine de Sienne.
« Le reste du temps, j’ingurgite un peu de pain rassit mêlé de cendres que je trempe dans l’eau fétide provenant des issues des cuisines » est le régime de Carlo Severano Severoli, capucin de Faenza.Le baiser Franciscain, pratique qui consiste à embrasser les plaies de personnes malades, a lui aussi réellement existé.
Bref, que du vrai, du frais, fabrication artisanale made in Histoire Très Personnelle !
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Etonnnant, stupéfiant!! Effectivement notre sensiblerie XXI siècle a du mal à s’en remettre. Bravo pour la documention
et le ton du récit permet d’apprendre avec plus de légèreté.