Chers amis, la leçon de libertinage « made in 17ème siècle » continue. Notre deuxième « cours » se tient comme le premier dans les jardins à l’italienne du beau château de Villarceaux (Lire Moi, l’Amour & Ninon – Leçon 1). Vous reconnaîtrez notre professeur à ses seins aussi fermes que ses propos, à son regard aussi impertinents que ses idées… Bref, vous reconnaitrez Ninon de Lenclos, qui ne s’embarrasse ni de sa particule d’artisto, ni des moeurs de l’époque, pour nous parler d’Amour, de cul, que dis-je, de cul ? de philosophie !
Allez hop, c’est parti, suivez-moi !
Previously on « Moi, l’Amour & Ninon » :
– Domaine de Villarceaux – Juillet 1654 – 14h30 – Le soleil brille, j’ai la patate –
Je rends visite à mon amie Ninon de Lenclos car mon éditeur m’a demandé de lui écrire une nouvelle sur l’Amour, vaste sujet que je ne maitrise pas vraiment, contrairement à elle ! (Lire Moi, l’Amour & Ninon – Leçon 1)
Nous en étions à la partie où mon amie m’expliquait comment elle conciliait fort pertinemment la morale de Dieu et ses galipettes du feu de Dieu. Et de conclure gaiement :
« Finalement, plutôt que d’attendre un supposé paradis céleste là-haut, j’ai préféré me créer un paradis terrestre ici-bas ! »
La vache ! Je regarde autour de moi furtivement, de peur de voir surgir un abbé fanatique nous transpercer avec sa croix, ou pire nous dénoncer auprès du Roi. Ben oui, nous sommes au 17ème siècle, et on en a mis plus d’un au trou pour moins que ça… Déjà que la reine est courroucée de l’attitude de Ninon… Elle lui aurait même fait part de sa pensée de la mettre dans un couvent, et, lui faisant la grâce de lui demander lequel la demoiselle préférait, cette effrontée aurait répondu : « aux Cordeliers » ; soit un couvent pour mecs. Perso j’aurais dit pareil, mais là tout de suite je n’ai pas envie de me retrouver avec une ceinture de chasteté à moisir chez les bonnes-sœurs.
Ninon semble avoir compris ma pensée :
« Ne vous tourmentez pas très chère, le seul représentant de Dieu qui puisse nous entendre est le prêtre Boisrobert qui l’autre jour encore, dit-on, récitait la messe de minuit avec ma jupe en guise de Chasuble !
– Et bien je vois que même si tu as quittée Dieu, tu fréquentes toujours ses représentants !
– Tout à fait ! Mais pas celui-ci, car le vilain n’enconne point, il encule. »
Je pense qu’à cet instant précis, je tire la tête du lapin qui se prend les phares d’une voiture en pleine tronche. Les yeux écarquillés, la bouche ouverte, je ne sais si je suis plus abasourdie par la vulgarité d’un tel propos (surtout concernant un homme d’église) ou par son extrême simplicité, aussi crue que vraie, venant d’une femme du monde.
La surprise passée, je pars dans un éclat de rire retentissant.
Ninon, qui entre-temps s’était lancée dans la cueillette de roses, reprend de manière tout aussi désinvolte :
« Et bien, si ce bougre de Boisrobert vous fait rire à ce point, nous l’inviterons avec son mignon à notre collation.
– Ah, parce qu’il se balade avec son mec en plus ?
– Non, avec son élève… Le maitre semble fort content de l’assiduité que montre son pupille à ses « études » et je crois bien qu’à force il fera de la pédérastie sa religion.
– Belle conversion ! Tiens en parlant de maître, dis-je, me rappelant tout à coup une conversation : sais-tu ce que me disait l’autre jour Chavagnac à ton sujet : « Quand un courtisan a un fils à dégourdir, il l’envoie à son école. L’éducation qu’elle donne est si excellente qu’on fait bien la différence des jeunes gens qu’elle a dressés. Elle leur apprend la manière jolie de faire l’amour » !
Ninon ne répond rien et se contente de sourire tout en jetant ses roses. « Elles m’ont piquée, les vilaines, tant pis pour moi, je n’avais qu’à pas les cueillir ».
Elle fait quelque pas dans l’herbe verte et touffue et se lance dans l’observation de deux tourterelles roucoulant au-dessus de nos têtes.
« Ah… Plaignons ces tourterelles qui ne baisent qu’au printemps… » ajoute-t-elle pensive.
Oui d’accord, pas de bol pour les volatiles… Mais le tour que prenait la conversation ne me plaisait pas, je n’avais pas fait tout ce chemin pour faire un traité d’histoire naturelle et je ne pense pas que les plannings de baise des tourterelles intéressent mon éditeur, ni qui que ce soit d’ailleurs, à commencer par moi.
Je mets les pieds dans le plat :
« Dis-donc Ninon, tu t’en tapes le coquillard de ce que je viens de dire ou est-ce que Chavagnac a dit un truc qu’il ne fallait pas ? »
Sa belle humeur coutumière semble s’évanouir et son regard se voile légèrement tandis qu’elle fixe les roses à ses pieds :
« On m’a cueilli alors que je n’étais qu’un bouton de rose. Mais je n’ai point piquée lorsqu’on a pris ma fleur. J’étais innocente alors, j’aimais les belles paroles, je m’en suis laissé conter. Il s’appelait Saint-Etienne, mais n’avait de saint que le nom, croyez-moi !
Elle fait une pause, puis reprend comme pour elle-même : « Puis il me quitta… j’ai cru mourir car je l’aimais vraiment celui-là.
Elle pousse un soupir et se tourne vers moi : « J’étais déjà fort pauvre, mais mon pucelage perdu, je n’avais plus aucune valeur. Ainsi sont les mœurs de notre époque, si cruels pour le sexe faible…
– Qu’as tu fait ? Dis-je le cœur serré.
– Ce que toute femme devrait faire : je suis devenue un homme ! »
Je la regardais sans comprendre. Elle avait retrouvé cette lueur amusée qui dansait dans ses prunelles sombres et que je lui connaissais si bien.
« Oui, reprit-elle, je n’ai adressé qu’une seule véritable prière à Dieu de toute ma vie : mon Dieu, faites de moi un honnête homme et n’en faites jamais une honnête femme. C’est à ce moment que j’ai délaissé les « qualités » vaines de mon sexe comme la chasteté, la modestie ou la pudeur pour prendre celle d’un homme : la sincérité, la loyauté… et la galanterie !
C’est aussi à ce moment je crois, que j’ai cessé d’être une « courtisane ». Et savez-vous pourquoi ?
Je secoue la tête
– Parce que j’ai pratiqué le vice sans honte !
– Bien dis Nini ! Mais entre nous, tu as quand-même continué à te taper des gars pété de thunes, il n’y a qu’à voir ton petit Villarceaux !
– Oui, et c’est tout le mal que je vous souhaite belle amie ! Est-ce que cela fait de nous une catin ?
– Ben… selon tes mœurs du 17ème : oui ; quant à moi, je me suis fait traiter de salope pour moins que ça. (Lire Moi, l’Amour & Ninon – Leçon 1)
– Ma chère, ce n’est pas tant d’enfreindre les lois mais avec qui les enfreindre ; il est des gens qui se placent au-dessus. Et quand on est libre-penseur, ce n’est pas tant les lois de la société qui importent mais les siennes propres. J’ai pour ma part pris pour règle de tout juger à ma guise, selon les bizarreries de mon imagination ou de mon humeur. Concernant les hommes, je ne m’abandonne qu’à ceux qui me donnent dans la vue ; et encore, ils ne me touchent que lorsque la fantaisie m’en prend, ne leur en déplaise ! Je les appelle mes caprices. »
Cette fois, j’avoue, j’ai complètement oublié mon papier sur l’amour ; et si je prends des notes avec acharnement, c’est pour moi-même. Je suis ravie, ébahie, je bois ses paroles comme un néo-bobo-écolo devant son maître yogi. Je m’enthousiasme, je m’oublie :
« T’es sérieuse ma poule ? Et tu arrives à « pécho » qui tu veux ???
– Mais mon amie, l’homme a besoin de penser et de parler pour bien jouir et on ne fait parfaitement l’amour que si on le fait avec intelligence. L’échauffement de l’esprit est un prélude à celui des sens. Ajouter l’art de la conversation à celui du plaisir charnel et vous détiendrez le secret de la manière jolie de faire l’Amour. Et croyez-moi, ajoute-elle en me fixant dans les yeux comme pour faire bien pénétrer cette idée dans ma petite tête : il est plus difficile de bien faire l’amour que de bien faire la guerre. »
Je demande naïvement : « Il faut plus de délicatesse ?
– Hé, c’est surtout de plus d’esprit ; car voyez-vous, si l’amour donne de l’esprit aux sots, il rend quelquefois bien sots les gens d’esprit ! »
Je me délecte de ces bonbons de bon sens enveloppés dans autant d’humour, quand soudain, j’aperçois au loin une silhouette masculine qui s’avance vers nous à grand pas.
Je reconnais le beau Villarceaux, qui arbore un sourire de plus en plus large à mesure qu’il distingue de plus en plus nettement sa Ninon à moitié nue.
Je suis quelque peu contrariée par cet opportun que j’aurais préféré voir débouler un peu plus tard, histoire de poursuivre cette conversation lubrico-ludique entre filles.
Soudain une pensée me traverse l’esprit, je lance tout à trac :
« Aimez-vous Villarceaux ?
La belle rit et me rétorque :
– Disons que c’est un de mes caprices… payant ! »
Puis elle s’en va d’un pas léger au devant de son amant.
Je reste seule, pensive… Je suis machinalement des yeux les deux silhouettes qui s’éloignent.
Tout à coup je réalise que je viens de prendre une leçon… bien plus que d’Amour : de philosophie !
Bien avant des Simone de Beauvoir et des George Sand, voici une femme qui, en plein 17ème siècle, à l’heure où la religion et les bonnes mœurs font et défont les hommes et surtout les femmes, voici une femme, pensé-je, qui ose se moquer de Dieu comme de sa première levrette, qui démontre que le sexe faible est loin d’en être un, et qui vit selon ses propres règles.
Même au 21ème siècle, nous ne somme pas nombreux à pouvoir nous vanter de tels mérites !
J’en prends de la graine, et je comprends maintenant pourquoi des Molière ou des Scarron, des La Fontaine ou des Boileau gravitent autour de ce bel astre, dont Scudéry disait :
« J’ai connu cet astre naissant
Au point de sa clarté première,
Et s’il était déjà puissant,
Quelle doit être sa lumière ! »
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Aussi intéressée que vous, chère Ariane, par la leçon de philosophie. Effectivement, « La Ninon » c’est un sacré personnage , qui suscite l’étonnement , l’envie et l’admiration, merci d’avoir été la rencontrer pour nous!
Aussi intéressée que vous, chère Ariane, par la leçon de philosophie. Effectivement, « La Ninon » c’est un sacré personnage , qui suscite l’étonnement , l’envie et l’admiration, merci d’avoir été la rencontrer pour nous!
C’est un réel plaisir de vous lire, madame et j’attends la suite…vous publiez quand? (personnellement)