Petit rappel : Le Livre de Poche m’a gentiment demandé de lui écrire une nouvelle sur l’Amour – ça c’est la bonne nouvelle !
La mauvaise : qu’est-ce que j’y connais à l’Amour ? Réponse : Que dalle !
Démonstration par les faits : Moi l’Amour & Ninon – Leçon 1
Forte de ce honteux constat, j’ai eu une idée géniale : Allez rendre visite à des potes champions en Amour.
Ça a donné : « Putain d’Amour » sorti le 14 Février dernier en librairie ;
Ça a donné : Moi, l’Amour & Ninon – Lecon 1 et Leçon 2 ;
Et ça donne : moi en pleine Renaissance, partie questionner mon copain François sur l’Amour.
Et quand on rend visite à François Ier dans son château de Chambord, ça donne ça :
Allez, hop, c’est parti, suivez-moi !
Château de Chambord – Décembre 1528 – 18h30 – Je me les caille sévère –
Il fait déjà nuit.
Je ne vois rien, premier défi : ne pas me casser la gueule dans les douves.
Je comprends après quelques minutes de marche hésitante que cet abruti de chauffeur de carrosse m’a laissée derrière le château.
Ce qui nous conduit au deuxième défi : ne pas me casser la gueule dans les échafaudages. Chose malaisée avec tous les blocs de pierres et autres tas de sable qui s’agglutinent autour du château en pleine construction.
Je n’en mène pas large, d’autant qu’une brume aussi belle qu’inquiétante flotte tout autour des hauts murs de pierres. J’entreprends de contourner l’immense bâtisse, ce qui me prend un certain temps, et ce qui n’aide pas vraiment à faire remonter mon trouillomètre, pour l’instant proche de zéro, tout comme la température extérieure. Heureusement, des éclats de voix et de rire me parviennent des croisées illuminées, et me redonnent courage.
« Au moins, me dis-je, je ne me suis pas trompée de baraque ». François a la fâcheuse manie de changer de château aussi souvent que de chemise… même plus, après réflexion !
« Et au moins, me dis-je encore, on ne va pas être dérangé par les protocoles relous de la cour et par ses moult courtisans, encore plus relous ». Nous aurions été drôlement embêtés pour parler Amour !
Alors que là, voyez-vous, nous allons pouvoir en parler tout notre soûl, car nous nous trouvons dans le château de chasse de François, qu’il appelle son « chez lui » et que j’appelle son lupanar…
Il y invite des amis aussi intimes que grivois, l’un n’allant pas sans l’autre, et quelques demoiselles triées sur le volet de leur belle gueule. Que du beau monde donc, que j’ai grand hâte d’aller rejoindre.
Ah, enfin ! J’aperçois l’entrée du château ; il n’y a plus qu’à suivre les gardes avec leurs torches.
J’arrive essoufflée, les godasses pleines de terre, la goutte au nez ; comme j’ai peur qu’on me prenne pour une manante, je joue la parisienne arrogante :
« Dites-moi mon brave, auriez-vous l’obligeance de m’indiquer où se trouve mon ami le Roi ?
Apparemment ça passe, le videur ne bronche pas :
– Au premier étage, dans la tour Nord, Madame. Empruntez l’escalier devant vous ».
Ce qu’il y a de bien avec Chambord c’est qu’on ne risque pas de rater l’escalier ; une énorme pièce architecturale à double révolution que nous a pondu Léonard de Vinci.
Je m’engouffre donc allégrement dans le château où la température, contre toute attente, n’est pas si différente de celle extérieure, malgré les énormes troncs en train de flamber dans les cheminées.
N’ayant pas pris de peau de bête (je suis contre la maltraitance des animaux), je me rassure en me disant que 2 ou 3 verres de leur piquette devraient parer à ce désagrément.
J’aurais pu me paumer dix fois dans cet énorme château qui contient déjà plus d’une centaine de pièces alors qu’il n’est pas encore fini ! Il paraît qu’ils visent les 440… Fort heureusement, je bénéficie de très bons guides : l’odeur des fumets de viande et le bruit très caractéristique du rire de François qui traverse les murs aussi bien que les siècles.
J’arrive enfin dans la salle où le banquet est dressé… pour constater qu’on ne m’a pas attendu pour
ripailler !
Je n’ai ni le temps de faire une révérence ni d’ouvrir la bouche, que François se lève en jetant une exclamation joyeuse.
Comme à son habitude, il est over fashion : pourpoints en drap d’or, habits de velours de soie rebrodé d’argent, éperons en or, et j’en passe…
Comme à son habitude il est over grand : presque 2 mètres au garrot, ça impressionne.
Comme à son habitude il est over sympa : il me claque un énorme béco bruyant sur la bouche (mais non, il ne me roule pas un patin, rhoooo ! C’est ainsi qu’on se saluait à l’époque) qui me laisse un goût de… de quoi d’ailleurs ?
« De chevreuil ma mye ! Me précise François, à moins que ce ne soient ces délicieuses langues d’oiseaux et testicules de coqs, que voici. Prenez donc place !
Puis il lance à la ronde :
« Voici une nouvelle rose parmi les belles plantes de ce diner, ce dont je suis fort aise car comme je le dis toujours : une cour sans femme, c’est comme un jardin sans fleur ! ».
Quelques-unes de ces femmes me jettent un regard mauvais, tandis qu’un valet s’approche et me tend un morceau de viande en sauce très appétissant, que je prends avec… ben tiens, où est ma fourchette ?
« Ce maudit pic à deux dents est tout juste bon à vous empaler la langue, laissons-donc aux italiens leurs outils de torture et prenez avec vos doigts, belle enfant ! »
C’est mon voisin de table qui vient de parler ainsi et que je reconnais immédiatement en la personne du Duc de Montmorency. Ça tombe bien, je kiffe le Duc de Montmorency !
Je chope donc ma viande à la bonne franquette et la dépose sur mon tranchoir (sorte de pain à la mie super compacte). A peine ai-je porté ma viande à la bouche que j’ai envie de la recracher aussi sec. Non pas qu’elle ne soit pas parfaitement cuite, mais elle est sucrée ! Je cherche une serviette… que je ne trouve pas : mer… ! C’est vrai qu’ils utilisent encore la nappe ici !
Petit aparté : d’ordinaire, le service recèle de plats, verres, aiguillières et autres babioles de table en or et argent ciselées, ou bien émaillées de je ne sais quels trucs précieux. Mais comme je vous le disais tout à l’heure, nous ne sommes pas à la cour, mais dans un relais de chasse qui se veut intimiste. Bon, ça n’explique toujours pas pourquoi ils ont été foutre du sucre dans la viande !
« N’y a-t-il pas plus délicieux que cette saveur sucrée ? Me lance un convive en face de moi, se méprenant visiblement sur la signification de la tronche que je tire. Il était dommage, reprit-il, de confiner cette précieuseté d’Orient aux seules pâtes de fruits et confitures ! Notre Sire a donc ordonné qu’on en saupoudre partout : dans les viandes, poissons… »
Ok, je viens de comprendre que je ne vais pas bouffer de la soirée ! Tant pis, il me reste le pinard, bien que je doive là aussi faire preuve d’ouverture d’esprit : le vin, qui du reste ressemble plus à un épais sirop, est servi dans un verre à partager entre plusieurs convives et uniquement rempli par un type qu’ils appellent l’échanson.
Au moins ces mésaventures culinaires ont-elles l’avantage de me recentrer sur ma mission première : parlez d’Amour. Je tends l’oreille pour capter les conversations et essayer de les infiltrer quand…oh bonheur, ça parle cul ! Non, non, pas amour, vraiment cul !
François est en train de questionner ses amis sur leurs parties de jambes en l’air:
« Racontez-nous donc quelle contenance et postures les dames tiennent-elle quand elles sont à leur manège ! Et n’hésitez pas à nous l’épicer de moult détails, quitte à en empester le diable, car là est mon bon plaisir ! »
Et le mien par la même occasion !
Ce grand humaniste et petit prêtre de Rabelais, converti pour la (bonne) cause en franc gaulois égrillard, prend la balle au bond (et dans ce cas précis, la belle au bond). Le voilà parti dans le récit d’une de ses aventures « galantes » :
« J’allais trouver ma dame, de fort haute noblesse, dont j’étais tout épris et je lui tins un peu près ce langage :
« Sachez Madame que je suis si amoureux de vous que je n’en peux plus ni pisser ni fienter. Sachez encore qu’il serait fort utile pour le royaume, agréable pour vous, honorable pour votre lignée et nécessaire pour moi, que vous fussiez couverte de ma race ; et croyez-le, l’expérience vous le démontrera ! »
« Sur quoi, reprit-il, la dame jura par tous les saints qu’elle me ferait plutôt couper les bras et les jambes ».
François éclate de rire :
« Qu’avez-vous donc répondu l’amy ? demande-il à Rabelais.
– Qu’elle pouvait bien jurer par tous les saints tant que je pouvais avoir les siens et que peu me chaut d’avoir les membres coupés tant que mon plus utile ne l’estoy point ; car il lui ferait si bien danser la gigue, qu’elle le sentirait jusqu’à la moelle des os.
– Et l’as-tu-eu ? demanda-t-il encore, tout guilleret.
– Hé parbleu oui ! Je l’ai faite festoyer comme les autres, ajoutant force épices pour la mettre en chaleur ; puis je l’ai besogné comme les autres. Comme les autres, elle bubajallait comme une mule la croupe en l’air. Comme les autres, j’en conclus que cela lui a fort plu ! »
To be continued…
La semaine prochaine le banquet se poursuit, les esprits s’chauffent, surtout le mien…
Notes
Les dialogues de François Ier sont imaginés sur la base de ses propres propos rapportés par Brantôme (écrivain du XVIème siècle).
Les dialogues de François Rabelais sont imaginés sur la base de ses propres propos mais ces derniers étant assez faibles, ils ont été « étoffés » par ceux qu’il a écrit dans son œuvre « Pantagruel ».
Ce soir c'est méga-banquet à Chambord ! (Lire Ripailles chez François Ier / n°1 ). Et quand François Ier reçoit ça donne : Des invités triés sur le …
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Mes chers amis, je suis très fière de vous annoncer que Histoire Très Personnelle a publié sa première nouvelle, dans un livre qui s’intitule « …
Délicieusement égrillarde, comme on aime, cette visite chez François Ier ! et toujours des connaissances nouvelles
que je savoure avec plaisir.