Ah… bien heureux est l’homme du 21ème siècle !
Alors certes, il vit communément dans des immeuble modernes qui rivalisent d’étroitesse et de laideur avec les pavillons en crépi qui grignotent nos campagnes, sans parler de la pollution qui l’environne ; mais il ne décède plus d’un vilain Choléra et encore moins d’une honteuse pustule, le bras scarifié par d’atroces saignées… et ça mes amis, c’est super nouveau !
Et voilà bien qui m’a toujours sidérée : comment des sociétés capables de construire des Versailles, capables de voguer sur tous les océans, d’inventer l’art du raffinement, et j’en passe, en soient toujours à soigner une gastro avec trois sangsues et un Pater Noster…
Je t’en foutrais moi, des robes de taffetas et de l’étiquette à la française avec des chicos pourris et de la crasse au fion !
Mais si nous essayions plutôt de comprendre ce phénomène ? Pour cela, il va nous falloir remonter loin, très loin dans le temps… aux origines de la médecine !
A vos blouses et scalpels les amis, nous allons trancher dans les siècles afin d’en extraire ce fameux mystère.
Allez, hop, c’est parti, suivez-moi !
Pour le coup on a peut-être tranché un peu profond, à en voir les dessins ici présents dans cette caverne. J’aimerais croire qu’il s’agit des gribouillis du petit Louis XV à 7ans dans la grotte de Thétis à Versailles, seulement je ne vois point les statues d’Apollon ni les nymphes, et étant donné la nature hirsute et sauvage qui nous entoure, l’ensemble m’a tout l’air d’être l’œuvre d’un souillon… ou d’un homme préhistorique !
Oh ! Regardez ce crâne humain perforé avec des dents tout aussi perforées ! Hum… A vu de nez ( c’est le cas de le dire !) nous sommes environ 8 000 ans en arrière (ça fait loin quand même ! Zut, j’aurais du prendre mon répulsif anti-mamouth…)
Pour en revenir à notre crâne, cet ex-bonhomme a tiré le jackpot : maux de crâne et mal de dents.
A cette époque, voyez-vous, on n’arrache pas une dent malade en tirant comme une grosse brute avec des tenailles rouillées ! On fait de la chirurgie… de non précision, certes, mais de la chirurgie quand même.
Alors oui, on ne maîtrise pas encore très bien l’art pictural, pas plus que l’art du vêtement, mais allez savoir : peut-être refusent-ils par principe une société consumériste basée sur un système d’apparence social… En tout cas ce qui est sûr, c’est qu’ils maîtrisent l’art de soigner, ou du moins ils essaient.
Cette dent perforée que voilà était à l’origine une dent cariée, qui a été soigneusement évidée grâce à une petite fraise. En effet, ils utilisent des fraises primitives qu’ils fabriquent grâce à une mince pointe de silex et qu’ils font tourner très rapidement afin d’évider la carie. Ensuite on colmate avec un pansement à l’opium, antidouleur, et hop, a plus bobo !
Si l’on va chez le « dentiste » préhisto avec quelques appréhensions, toujours d’actualité, mais sans se mettre en grand danger, il faut en revanche être beaucoup plus précautionneux à l’heure de se plaindre d’un mal de tête, ou de péter une durite qui pourrait être assimilée à de l’épilepsie ou à une tumeur au cerveau, car la trépanation guette ! C’est ce qui est arrivé au crâne de Monsieur ici présent, enfin… de Madame (on aurait dû s’en douter !).
Point d’Aspro pour soulager de tels maux, mais un petit raclage du ciboulot ! Toujours à l’aide du bistouri local (le silex) ils raclent la boite crânienne jusqu’à y faire un trou, ce qui procure un soulagement immédiat. Pas de panique, ces gars-là sont des experts, ils se sont longuement entraînés sur… des vaches, c’est vous dire !
Bref, à la préhistoire, on trépanait, on amputait des membres, on soignait des caries… C’était du sérieux donc, et la médecine comme les hommes s’en portaient plutôt bien !
Hélas… Le bon vieux silex est remplacé par la croix et l’amulette. Et quand les Dieux pètent le feu, c’est la médecine qui tombe malade.
Est-ce parce que l’homme s’embourgeoise ? Ou bien qu’il s’ennuie (ce qui va souvent de pair) ? Quoi qu’il en soit, l’homme antique se pique de questions métaphysiques : « Pourquoi je tombe malade ? Pourquoi je souffre ? ».
La réponse logique eu été un truc du genre : « c’est parce que tu as mal au foie, et entre nous Bébert, t’aurais moins picolé hier que ce ne serait pas arrivé ; alors à la diète ! ».
Mais non, ce ne fut pas la réponse… (ça, c’est parce qu’il n’a pas demandé à sa femme !).
Monsieur fait le mystique et le macho, non seulement il n’a pas demandé à sa femme, mais en plus il la tiendrait même responsable de ses maux (ou peut-être qu’il a demandé mais la réponse ne lui parut pas satisfaisante !).
Le voilà donc parti dans des histoires abracadabrantes de Pandore, Eve ou Seth selon qu’il est, Grec, Chrétien ou Égyptien. Selon ses conclusions, les hommes (ou plutôt les femmes) ont mis les Dieux en pétard et ce sont tous les hommes qui dérouillent.
Seule solution pour guérir : s’attirer la clémence du Dieu. Ranger vos bistouris malheureux mécréants ! L’heure est aux prières, aux offrandes et aux repentirs.
Si vous êtes Égyptien, faites des signes à Horus peut-être prendra-t-il pitié de vous ; si vous êtes Grec ou Romain, attirez l’attention d’Esculape, vous ne pouvez pas vous tromper : c’est le gars en toge qui se balade toujours avec un serpent enroulé autour de son bâton (devenu l’emblème de la médecine).
Et si vraiment filer 3 oranges à Horus dans son temple ne suffit pas à vous guérir, vous pouvez toujours essayer quelques recettes soit-disant « médicamenteuses » dont les Égyptiens ont le secret et que personne ne se risquerait à leur piquer, voyez vous-même : excréments d’oiseaux mélangés à de la chair de moules, huile de moringa et sang de serpents…
Ne riez pas chers amis, c’est de la science… magique ! En ingurgitant pisses et crottes animales, le patient repousse les forces néfastes qui ont pris possession de son corps, élémentaire mon cher Watson…
Heureusement pour lui, l’homme invente l’écriture et les choses sérieuses peuvent commencer. En 3 100 av. J-C, ça dépote grave en Egypte : on invente les hiéroglyphes, on centralise la monarchie, on compile les connaissances… Le prêtre et le magicien sont alors obligés de faire un peu de place à un nouveau venu : le médecin.
Tout s’enchaîne ensuite très vite au pays de Cléopâtre : on construit des écoles de médecine et on se spécialise : médecins des yeux (qui opèrent très bien la cataracte au 3ème siècle av.J-C), des dents, de la tête, du ventre, etc. On invente un protocole médical (auscultation et interrogatoire du patient), on comprend le lien entre le pouls et le battement du cœur (même si l’on croit que le cœur est le siège des émotions et de l’intelligence). C’est tellement bien parti qu’on s’attendrait presque à ce qu’ils inventent le CHU et la carte vitale ! Mais non, en Egypte la médecine finit par stagner. A force de se baser uniquement sur les savoirs (et les non-savoirs) des anciens, elle ne progresse plus. Et la dissection restant une pratique interdite… la médecine des Égyptiens a une petite baisse de forme.
Ce qui n’est pas le cas chez les Grecs, car depuis qu’Hippocrate a vu le jour en 460 av. J-C, la médecine tient une forme Olympienne !
Premier lancé de javelot de notre champion en pleine poire des prêtres : « La guérison ne dépend pas des dieux mais de l’art du médecin ! ».
Puis il continue sur sa petite foulée en remettant le bon sens aux premières loges :
« Manger sain et équilibré, surtout des fruit et légumes. » (on va finir par le savoir, nous autres du 21ème !)
Puis il termine sa course de la médecine par un sprint légendaire qui a traversé les siècles : le serment d’Hippocrate.
Le principe ? Assister le malade pendant sa maladie et lui être utile ou, le cas échéant, ne pas lui nuire. Le corps disposant des ressources nécessaires pour se défendre de la maladie, il n’est pas nécessaire de recourir à des méthodes invasives ou nuisibles.
Du simple, du pratique et de l’efficace qui pose les bases de notre déontologie médicale actuelle. On lui aurait presque décerné la palme… s’il ne s’était pas dopé avec des principes aussi fumeux qu’ils furent tenaces dans le temps.
En effet, notre athlète soutient que le corps humain est le reflet du cosmos, et par conséquent il serait constitué de quatre humeurs, comme le monde l’est des 4 éléments (eau, terre, feu, air), c’est à dire : le sang, la bile jaune, la bile noire, et le phlegme.
Aïe ! La chute est d’autant plus grande qu’il était monté haut notre Dieu grec de la médecine…
Et de s’enfoncer dans sa déchéance en nous expliquant que la maladie provient d’un déséquilibre entre les humeurs, c’est à dire quand une d’elle se met à fluer et s’isole, et bla, bla, bla….
Le pompon sur la tumeur : il préconise lavements, emplâtres, saignées et autres sangsues comme remède.
Vous me croyez, vous ne me croyez pas : pas un qui ait moufté et remis en cause le délire pendant presque 2 000 ans !
Comment le concept s’est exporté jusqu’en France ?
Demandez donc à Galien, la rock star de la médecine qui a exporté ses compiles médicales dans tout l’empire !
Comme son copain Hippocrate, le bonhomme est prometteur. Né vers 129 de notre ère à Pergame, ce grec d’origine est jeté très tôt dans l’arène de la médecine : il est médecin des gladiateurs ! De l’arène à l’empereur il n’y a qu’un pas qu’il franchira allègrement à Rome, en devenant le médecin de l’empereur Marc Aurèle puis celui de Commode.
Est-ce de l’arène que lui vient le sens du show ? Car plus Galien que galérien, notre romain d’adoption décide de faire avancer la médecine à sa façon, c’est-à-dire d’en faire un truc à sensations plutôt qu’un truc à sangsues.
Il comprend que faire péter les foies et autres organes est THE moyen qui fera péter l’audimat et l’ignorance !
Ni une, ni deux, le voilà en plein forum, armé de ses scalpels et de ses singes : le show peut commencer !
Devant une foule médusée, il découpe, extrait, suture, ligature… des cœurs de singes, des poumons de biques, des urètres de lapin…C’est le déluge d’organes et d’expériences. Comme notre Noé n’a pas le droit de faire monter des humains dans l’arche de la dissection, ce sont les animaux qui trinquent à notre bonne santé ! Et puis franchement, quelle différence entre une lapine et une femme ? Oh, si peu selon Galien… Du coup, il faudra attendre le 16ème siècle pour que la femme ne soit plus pourvue d’un utérus de lapine ! Comme le dira Vésale : « Galien a été trompé par ses singes » …
En attendant il permet la compréhension de la fonction du diaphragme dans la respiration, la fonction des reins, et aussi des avancés notoires dans la pharmacopée (pour ça il a un tour infaillible, le « clou » du spectacle : il n’hésite pas à se faire de grosses blessures sur le cuissot en plein public afin de démontrer le bien fondé de certaines méthodes de guérison). Sa notoriété est telle que ses pratiques et autres découvertes sont adoptées dans tout l’Empire, de la Grèce en passant par la France.
Ce Jésus Christ venu pour sauver la science aurait bien mérité une belle couronne d’herbes médicinales s’il n’était pas resté l’apôtre du dieu grecque Hippocrate : en continuité avec ce dernier, il soutient la théorie des humeurs, soit disant qu’il affine (comme s’il y avait quelque chose à affiner… enfin, passons…). Et voilà comment nous restons, malgré les solides bases qui viennent d’être posées, avec cette mauvaise théorie des humeurs, dont les pratiques servent surtout, en toute logique, à mettre de mauvaise humeur.
Et ce n’est pas la grosse vautre de l’Empire Romain, suivie de l’arrivée du Moyen Age avec son baluchon de croyances et autres bondieuseries, qui ont aidé cette jeune médecine à grandir, bien au contraire…
La pauvre s’est toutefois ragaillardie à la Renaissance, grâce notamment à Ambroise Paré qui a su cautériser les blessures faites par ces âges obscurs. Elle s’est ensuite réchauffée à la lumière des siècles qui en produisaient mais enfin… on est encore loin du salvateur 19ème siècle qui produira les premières vraies lueurs médicinales comme l’anesthésie, le vaccin contre la rage, le rayon X, l’électrocardiogramme, etc.
Voilà pourquoi, mes chers amis, pendant tous ces siècles d’art et de raffinement, la vérole s’est épanouie sous les poudres parfumées, les pustules ont éclos sous les pourpoints de soie et les seuls malades qui s’en tiraient à coup sûr étaient les malades imaginaires, comme l’a bien compris Molière :
« Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personne que vos grands médecins ; entendez les parler, les plus habiles du monde ; voyez les faire, les plus ignorants de tous les hommes… ».
(Extrait du malade imaginaire.)
je serais très intéressé par l’histoire de la connaissance ou de la reconnaissance des maladies psychiques au cours de l’histoire humaine….merci…et bonne semaine à venir…
Super article! Ce petit parcours dans l’histoire de la médecine a réactualisé mes connaissances , merci.
J’attends avec impatience votre nouveau sujet.