Mon Dieu mes amis, que cet intermède fut long… On l’aura attendu cet acte IV !
Mais quelqu’un a dit « plus c’est long, plus c’est bon »… je vous propose de vérifier cela séance tenante.
Allez hop, c’est parti, suivez-moi !
Résumé acte I, acte II et acte III :
« Opéra Garnier – 17 Janvier 1876
Grâce à mon pote Charles Garnier, j’avais pu passer l’aprèm à l’Opéra de Paris avant la représentation qui était donnée le soir-même. Moi qui voulais voir et savoir des choses, j’ai été copieusement servie : j’ai assisté à la répète « martiale » d’un ballet de danse, j’ai rencontré une tragédienne aussi tragique à la vie qu’à la scène, et un petit rat tout décharné s’est pris d’amitié pour moi (et moi de pitié pour lui…). Mais une idée me trottait derrière la tête pendant que mon petit rat trottait vers sa loge en m’y entrainant… »
Pour être déçue, je fus déçue. Une grande pièce mal éclairée s’ouvrait devant moi et laissait découvrir un fouillis incroyable : des chaussons de danse usagés côtoyaient à même le sol des tutus, des pots d’onguents et autres trucs bizarres que je n’identifiais pas… Par contre, ce que j’identifiais bien, et tout aussi bizarre : l’odeur qui flottait en ces lieux, un mélange de transpiration, de poudres et de parfums. Des danseuses étaient là, se déshabillant, se recoiffant…
Un léger mal de tête commençait à m’envahir le ciboulot, fortement enhardi par la présence d’une chaleur insupportable.
Émilie, petit rat très à son aise dans ce terrier qui lui servait de loge, poursuivait son babillage :
« Côté jardins, ce sont les loges des filles, coté cour, ce sont celles des hommes.
– Ben je ne vois aucun jardin… répondis-je sans entrain en jetant oeil morne par la lucarne.
– Je sais, répliqua-t-elle, c’est une façon de se repérer dans l’Opéra, le côté cour est à gauche du spectateur et le côté jardins à sa droite. »
Et de me faire la réflexion que là tout de suite le spectateur, à savoir moi-même, en avait ras la casquette autant du côté cour que du côté jardins !
Je regardais machinalement l’heure et bondis : « Damned, déjà 5 heures ! Plus le temps d’aller pécho le fantôme… Oh et puis si, zut ! Allons-y ! Mais comment faire pour attraper un fantôme en moins de 10 min ? » (Lire Le fantôme de l’Opéra Acte III)
Au plus fort de mes réflexions de planification productive, très agitée, je m’écriais à la ronde :
« Les caves ! Où sont les caves ? »
Un grand silence me répondit, les petits rats fixaient sur moi un œil interrogateur et perplexe.
Emilie me lança timidement :
« Euh… Sinon on a des toilettes dans le couloir, si c’est ça que vous…
– Hein ? »
J’avais du mal à voir le rapport entre les chiottes et la cave, peut-être des mœurs du 19ème, ou peut-être ma façon de gigoter quand je suis en speed…
« Ok, je me débrouille ! » lançai-je sans demander mon reste.
Je sortis en trombe comme si le fantôme était déjà à mes trousses. Je ralentis un instant dans le couloir, moins pour laisser passer les modistes avec leurs énormes portants, que pour réfléchir à comment trouver ces foutus souterrains. Cet intermède de réflexion m’arrêta devant une loge qui ressemblait enfin à l’idée que je m’en faisais : piano droit, chaises médaillons et canapé en velours cramoisi, gros bouquet de roses rouges, immense miroir doré, discret cabinet de toilette… Ah, ben voilà, plouf ! Note pour plus tard : revenir se changer-là ! (Lire Le fantôme de l’Opéra Acte I)
Je repris ma course vers la scène, le sourire aux lèvres. Je venais de me souvenir que Gaston Leroux expliquait dans son roman que le fantôme faisait disparaître une cantatrice en pleine représentation grâce à une trappe planquée sous la scène ; trappe conduisant directement aux caves.
Je m’auto-congratulai de faire preuve d’une si étonnante mémoire, chose d’autant plus délicieuse qu’elle est très rare dans mon cas.
J’arrivai essoufflée sur la scène et me mis en devoir de débusquer la trappe magique. A quatre pattes, le nez collé au plancher, je tournais depuis 5 min laissant échapper autant de jurons que d’éternuements, ne trouvant que de la poussière, quand soudain j’entendis :
« Les chiens sont interdits à l’Opéra !
Un gloussement plus tard et la voix moqueuse reprit :
– Ah, mais c’est vous très chère ? Veuillez excusez ma méprise mais l’imitation était telle, que je vous ai prise pour un cabot.
– Vous me flattez mon ami ! » dis-je sans me départir de ma position ridicule, ayant reconnu mon interlocuteur. « Mais malheureusement je dois me mettre à quatre pattes pour en avoir l’air, contrairement à vous… »
A ces mots, Charles Garnier secoua ses jolies frisettes brunes et fronça son long nez droit, ce qui lui conférait l’air élégant avec cette pointe de laideur propre aux lévriers.
Quand il ouvrit la bouche, et je n’eus pas été surprise qu’un aboiement s’en échappe, mais finalement ce fut un éclat de rire.
« Charles, l’heure n’est pas à la plaisanterie ! Lançai-je avec sérieux.
– Alors il est l’heure de quitter votre tenue de saltimbanque ! » (lire Le fantôme de l’Opéra, Acte II)
Ce fut à mon tour de froncer la truffe sans répondre, car il n’y a rien à répondre lorsqu’on est habillé d’un legging et d’un T-shirt Mickey. Pourtant j’aurais eu beaucoup à dire sur son propre look, composé d’un chapeau mou aussi fatigué que sa vareuse au col rabattu. Quant à ses galoches, elles avaient atteint un tel âge canonique que je n’eus pas osée m’en moquer… Seul le petit ruban rouge accroché à sa boutonnière rappelait qu’il n’était point un clodo.
« Dites-moi plutôt où se trouve cette maudite trappe allant aux souterrains, mon bon.
– Mais ma chère, me rétorqua Charles surpris, vous n’êtes pas dans un cirque et encore moins dans un château fort de roman, il n’y a point de trappe pour aller aux caves mais une porte, derrière la scène. »
Hum… voilà qui me donnait à réfléchir… Gaston et son roman nous auraient-ils menti ? Point de trappe et qui sait… peut-être point de fantôme… Rhoooo !
« Mais je suis fort aise que vous alliez visiter mes caves ! ajouta-t-il la mine réjouie. Vous n’imaginez pas le soin que j’ai employé à y créer de grandes et belles arches de pierres, si bien que je trouve fâcheux que ces caves ne fussent pas visitées par le public.1
Je haussai les épaules :
– Suis forte aise de ton autosatisfaction l’ami, mais je me fous royalement du plafond de tes caves.
– Et bien vous avez tort !
D’abord contrarié, je vis un sourire vague et mélancolique se dessiner sur son visage :
« Que de fois j’ai parcouru ces caves, tout seul, seulement éclairé par la lumière lointaine de quelques soupiraux, afin de ressentir cette espèce d’influence de terreur et de grandeur, et de défendre mon esprit contre les mesquineries et l’entrainement aux petites préoccupations artistiques ! Cela valait presque pour moi un voyage en Italie. »2
Je me notai pour plus tard de ne plus claquer autant de pognon dans des livres de développement personnel, ni dans des cachetons d’oubli personnel (communément appelés Xanax), mais de penser à descendre dans les caves de Garnier.
Bon, mais en attendant le temps pressait, je n’y tins plus :
« Et le fantôme, l’as-tu vu ? »
Charles me lança un de ces regards bovins, synonymes de vide intellectuel dû à une incompréhension majeure, et qui se traduisit vocalement par un « Hein ? ».
« Mais oui ! Le fantôme, le lac, tout ça…
Cette fois mon ami sembla raccrocher les wagons :
– Ah, en effet, il y a bien une sorte de lac… J’appelle cela un cuvelage en béton de grande dimension, rempli d’eau d’infiltration pour préserver les fondations du bâtiment… Quant à un fantôme, ma chère, il faudra que vous me le fassiez rencontrer, car à part des carpes aveugles il n’y a pas âme qui vive. »
Ce fut à moi de lui adresser un regard glauque et inexpressif emprunté à la race des bovidés, et qui se traduisit vocalement par un « T’es sérieux ? ».
C’est certainement cette expression de stupeur ajoutée à mes propos tout aussi stupides qui décidèrent Garnier à prendre congé :
« Bon, je vous laisse à vos trappes et vos fantômes, moi je vais accueillir mes abonnés. »
Pendant ce temps, la scène avait pris des allures de grand chantier. Machinistes, accessoiristes et régisseurs s’affairaient. Une immense toile peinte se mit à descendre comme par magie et je me crus tout à coup au bord d’un lac magnifique.
J’entendis crier du fond de la scène :
« Et bien le voilà votre lac, le fantôme ne devrait plus être loin ! Hahah ! »
Charles s’en allait en ricanant.
Des maisons de bois roulaient pour venir se poser devant la toile. En quelques minutes, je n’étais plus à l’opéra mais dans quelques adorables bourgades champêtres. « Place, place ! » me criait-on par moment, ce qui n’altérait en rien mon immobilisme et ma fascination contemplative.
Tout à coup, curieuse de comprendre les invisibles mécanismes qui agitaient tous ces décors et laissaient deviner leur complexité aux bruits multiples qu’ils faisaient, j’avançai vers le fond de la scène.
J’aperçu un immense espace qui surplombait la scène en hauteur. En tant que néophyte je ne distinguais qu’un incroyable bordel : de minces passerelles s’entremêlaient, sur lesquelles des machinistes manoeuvraient moult cables, reliés à des systèmes de contrepoids, et qui descendaient d’un espèce de plancher à claire-voie. J’appris plus tard que cet espace était nommé le « Cintre » et que ce plancher à claire-voie était nommé le « Gril ».
Voyant un homme perché au-dessus de moi et actionnant tout ce savant bazar, je l’apostrophai :
« Vous ne vous emmêlez pas trop les pinceaux avec toutes vos cordes l’ami ?
A mon grand étonnement, il poussa un juron :
– Vous voulez me porter malheur ? Ne prononcez jamais ce mot ici malheureuse ! »
Je ne saisissais pas bien en quoi le mot « pinceau » portait malheur. J’appris plus tard que le mot « corde » était en cause, car la plupart des machinistes étaient des marins. Or, sur un navire, une corde désigne le nœud coulant attaché au mat par lequel on pendait les marins ; d’où l’interdiction de prononcer ce mot sur un navire, comme dans un Opéra.
Bref, cela m’apprenait surtout que tous ces machinistes étaient des imbéciles de superstitieux.
Plus de fantôme, plus de mystère… retour à la case départ : la loge commune d’Émilie où j’avais laissé mon énorme valoche (Lire le Fantôme de l’Opéra acte I).
J’entrepris de m’y changer, non sans m’être excitée comme une tarée, au préalable, sur la porte close de la belle loge au piano que j’avais repérée plus tôt..
Comme toute parisienne du 21ème siècle qui se respecte, je commençai donc par pester : du manque d’intimité de cette grande salle, de la chaleur, du manque de lumière, etc. le tout en jetant au passage un œil torve aux pauvres filles qui me regardaient bien surprises.
J’eus tôt fait de retourner ma veste (c’est le cas de le dire ) ! Le déclic ? Le corset !
J’adressais maintenant force gentillesses, et autres « ma biche » façon Louis De Funès, à qui voulait bien m’aider avec ce maudit corset, ces agrafes à la noix et ce p*** de faux cul !
Une plombe plus tard, après avoir acquis la taille de Kate Moss et le croupion de Kim Kardashian, je me précipitai dans l’aile des abonnés afin d’assister à leur débarquement.
Je voulais être aux premières loges afin de passer en revue les troupes de la fine fleur de l’aristocratie… masculine.
Ben quoi ? J’ai pas réussi à « pécho » du fantôme, peut-être serais-je plus chanceuse pour « pécho » de l’artisto ?
– Fin de l’Acte IV-
Chers spectateurs, le dénouement de ce long spectacle est sur le point d’arriver. Comme nous ne savons ni vous, ni moi (si, si, je vous jure !) comment il va se terminer, je préfère anticiper toutes situations gênantes pouvant se produire et qui pourraient nuire à la sensibilité des plus jeunes. C’est pourquoi, je déclare le prochain acte V réservé à un public adulte, grivois, hardi et averti !
Notes
1 & 2 : Les dialogues de Charles Garnier sont ses propos exacts et retranscris ici sans modification aucune.
(ce qui ne signifie pas que les autres sont des carabistouilles mais des dialogues inventés basés scrupuleusement sur la personnalité et l’histoire de cet artiste).
Allez, vite ! Montez dans mon fiacre les amis - faites gaffe à ma robe quand-même, rhooo ! - je suis attendue chez Nélie Jacquemart-André, …
Mes chers amis, autant vous prévenir de suite : cet article est aussi kiffant qu’il est long… autant dire très long ! J’ai donc pensé à quelques …
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Mes chers amis, m’entrainant à l’art du roman dans le but d’écrire un livre, j’ai profité de ma visite à l’Opéra pour m’essayer à la …
En lisant cet article j’ai encore appris beaucoup en m’amusant . C’est super ! vivement la suite.