Chers spectateurs, le spectacle de l’Opéra Garnier continue. Charles (Garnier) et moi-même vous remercions pour votre présence aux deux actes précédents. (Ce remerciement est censé mettre mal à l’aise les absents, et les inciter à aller lire les deux premiers actes !)
Installez-vous confortablement et que le spectacle (re) commence !
Allez hop, c’est parti, suivez-moi !
« Opéra Garnier – 17 Janvier 1876
Mon pote Charles m’a (enfin) invité dans son Opéra. En assistant à la répétition d’un ballet, j’ai fait la rencontre d’une tragédienne… très tragique ; à la suite de quoi j’ai décidé d’aller faire le tour du proprio. J’étais tranquille, j’étais peinard, debout sur la scène à contempler le beau boulot de mon petit Garnier, quand un bruit derrière moi me fit sursauter… BANG! (ce n’est ce bruit-là qui me fit peur, celui-ci est le bruit de ma valoche que je lâchais dans mon sursaut, et qui ajouta à ma trouille…) »
Me retournant brusquement je vis une frêle silhouette en tutu qui s’était arrêtée net, preuve qu’elle avait eu les pétoches elle aussi.
Je ris de cette situation absurde ce qui l’encouragea à franchir les quelques pas qui nous séparaient.
Elle me dévisagea timidement, lançant des œillades répétées à ma tenue. Visiblement aussi intriguée que mal à l’aise, la jeune fille semblait éprouver quelques difficultés à engager la conversation. Je vins à son secours :
« C’est mon préféré, je le porte nuit et jour ! Avec une ceinture ça fait tunique et sans, ça fait pyjama, c’est super pratique ! »
La jeune fille me regarda sans comprendre.
« Je parle de mon T-shirt Mickey, celui que tu n’arrêtes pas de regarder.
Elle rougit de son indiscrétion :
– Euh… oui, balbutiât-elle, pardonnez-moi, mais je trouve en effet cette souris très drôle !
– Sûrement très drôle pour une petite souris mais certainement moins gracieuse qu’un petit rat ! » dis-je galamment pour plaisanter.
La plaisanterie tomba lamentablement à plat car de nouveau la jeune fille leva vers moi un regard interrogateur.
« Ben oui, tu es plus gracieuse que Mickey ! Tu es aussi moins drôle, c’est sûr… Bref, j’imagine que tu n’es pas venue là pour qu’on parle de mes fringues ?
– Euh… non, Madame, à dire vrai, vous m’avez beaucoup intriguée tout à l’heure (Lire le fantôme de l’Opéra Acte II) et je voulais vous rencontrer. Je suis…
– Émilie, je sais ! Celle qui a pris un coup de baguette magique qui replace automatiquement les bras et les jambes dans la bonne position en laissant une marque rouge (Lire le fantôme de l’opéra- Acte I)…
Cette fois je lui arrachais un sourire.
– Oui, en effet ! Madame Taglioni peut paraître sévère mais ici, c’est chose commune. Nous devons être les meilleures si nous voulons être un jour danseuse étoile ! Nous sommes habituées à ces conditions car c’est ainsi que nous nous entraînons depuis l’enfance. J’ai commencé la danse à l’âge de 6 ans, et je suis entrée ici à 12 ans », ajouta-elle fièrement.
Pendant ce temps, je n’avais pu résister à l’envie d’aller me vautrer dans un des beaux fauteuils de velours rouge, juste devant la scène. Je n’écoutais donc le discours de cette Emilie jolie que d’une oreille fort distraite, étant toute à l’étude de l’incroyable moelleux de l’assise. J’étais également très intriguée par les plaques en bronze sculptées, qui ornaient les dessus des sièges. Le nom des abonnés y était gravé. C’était d’un chic ! Je pensais en moi même : « C’est aussi un génie du marketing ce Charles ! ». Une pensée en amenant une autre : « Tiens, et si je lui demandais de graver mon nom sur un des sièges ? Je pourrais me la péter grave au 21ème ».
Mon délire mégalo fut interrompu par un :
« Mais que faites-vous donc ? »
Émilie observait, visiblement très surprise, la façon dont je m’agitais le fessard sur mon fauteuil depuis 5 min.
« Hein ? Et bien… à défaut d’avoir mon nom imprimé sur le fauteuil, j’y imprime mon cul, voilà ! Mais que disais-tu ma chère ?
– Et bien, je vous disais que depuis l’âge de 12 ans que je suis ici, je travaille très dure ! Parfois plus de 10 heures par jour quand il y a spectacle.
– Ah ça, choisir le cursus sport-études… J’espère au moins que l’école n’est pas trop loin de l’opéra.
– L’école ? Mais je n’y vais point ! » s’exclama-elle.
J’en fus stupéfaite. Je fronçai les sourcils et me mis à la considérer longuement : Ses épaules noueuses, ses clavicules saillantes, ses côtes apparentes… Toute cette maigreur aurait fait peine à voir sans cette harmonieuse musculature, qui donnait un semblant de volume à ce petit corps.
Je me rappelai alors cette appellation de petits rats, qui n‘était que trop juste pour désigner ces petits êtres de misères, dont grouille l’Opéra. Ils trottinent du matin au soir dans les couloirs, exhibent leurs corps sur scène, et espèrent ainsi se faire adopter par quelques riches messieurs. S’ils ont le bonheur d’être choisis, ils pourront ajouter du beurre dans leur fricot, en fricotant avec du bourgeois. Pour ces jeunes filles, l’Opéra Garnier est d’abord un Opéra bien garni où le grand écart rapporte plus en coulisse que sur scène…
Cependant, Émilie continuait ses explications :
« Notre seule instruction est la danse. Même en dehors des cours je continue à m’entraîner. C’est très dur pour le corps, il y a des jours où je ne peux plus mettre mes chaussons de danse tellement mes pieds sont endoloris. Mais c’est ainsi que, peut-être, je parviendrai à être danseuse étoile ! La concurrence est tellement rude, soupira-t-elle.
Tout à coup j’eus un flash : je revoyais des scènes du film « Black Swan » et je m’entendis lui répondre :
– Garde la tête froide ma belle, car tu pourrais virer schizo et te retrouver une nuit à brouter le minou de tes copines et même finir par en buter une…
La petite pris un air ahurit, je cherchais aussitôt à faire diversion :
– Et sinon, tu connais Cornélie Falcon ?
Son visage s’éclaira soudain :
– Oh oui, bien sur, qui ne connait pas la Falcon !
« Ben moi… », me dis-je en moi-même alors que je répondis crânement :
– Quel tragique destin pour une si grande cantatrice !
– Hélas, Madame, l’opéra est rempli de destins tragiques…
– Ah bon ? », répliquais-je étonnée.
J’essayais de me rappeler les tragédiennes d’opéra que je connaissais, ce qui ce résumait à ma copine Sarah Bernhardt qui n’avait pas à se plaindre de son métier. Il lui avait permis récemment de recouvrir la carapace de sa tortue de feuille d’or et de topazes. Dans un sens, on pouvait considérer cela comme tragique… Je développais cette pensée à haute voix :
« Et oui, l’Opéra peut vite faire péter les plombs, c’est comme le cinoch’… »
Emilie ne prêta aucune attention à cette réflexion, ce qui me laissa à penser qu’elle ne dut point la comprendre; à moins qu’elle n’en eu cure… Toujours est-il qu’elle continua :
« N’avez-vous point entendu parler de l’élève de Marie Taglioni ? Celle qui a pris feu…
Je me souvins tout à coup de l’énorme lustre de la salle de l’opéra (Lire le fantôme de l’Opéra Acte II), et m’exclamai :
– Je savais bien, moi, qu’ils finiraient par foutre le feu avec leur lustre !
– Ce n’est pas le lustre. Elle a prit feu à cause de la rampe de gaz qui borde la scène, ici même…
Je regardais avec horreur ces lumières qui nous entouraient.
– Elle s’est approchée trop près d’une de ces lampes et son costume de gaze a pris feu.
– Ah ben ça, du gaz avec de la gaze… Est-elle morte ?
– Pas immédiatement, quand elle s’est enflammée, la pauvre a eu le temps de faire trois allers-retours en courant sur la scène avant qu’un pompier ne réussisse à éteindre les flammes. Comble de l’horreur, se voyant réduite à la nudité à cause des vêtement partis en fumé, elle essaya de cacher sa pudeur en rabattant sur elle le peu de tissu enflammé qui lui restait.
– Quelle sotte !
– Non, Madame ! Emma Livry faisait parti de cette classe de danseuses romantiques dont la pudeur n’avait d’égale que leur grâce. Elle décéda à la suite des ses brûlures et elle enterra avec elle la grande époque du ballet romantique.
– Quel âge avait-elle ?
– 21 ans à peine, je crois. Je l’aimais beaucoup. Elle n’était point belle mais vous n’avez jamais vu pareille danseuse. Elle avait la légèreté et l’aisance d’un papillon qui fend l’air sans bruit et s’envole sans effort.
Ses yeux s’étaient légèrement embués.
– Comme lui, elle s’est brulée les ailes au feu de la rampes ; et comme lui, sa vie fut éphémère… dis-je, pensive.
– C’est chose curieuse que vous disiez cela, car le jour de son enterrement deux jolis papillons blancs ont survolé le cercueil pendant tout le trajet de l’église au cimetière.
Un nuage de tristesse passa sur son visage, puis elle repris :
– C’est ce qui inspira l’épitaphe que est inscrit sa tombe : « Ô terre, sois-moi légère ; j’ai si peu pesé sur toi »
Allons, bon ! Je sentais de nouveau l’émotion me gagner comme tout à l’heure avec la Falcon (Lire le Fantôme de l’Opéra Acte I). Je pris le parti de l’indignation :
– Quelle bande d’abrutis aussi, de laisser des danseuses voltiger avec toute leur mousseline près des becs à gaz !
Émilie esquissa un sourire morne :
– Normalement nous devons enduire nos costumes d’un produit non-inflammable, c’est la règle. Mais personne ne le fait car le produit est très désagréable !
– Certainement moins désagréable que de prendre feu, chère amie !
– Oui, mais il est si malodorant… de plus il empèse horriblement les tissus et les colorent d’une teinte jaunâtre des plus affreuses. J’ai même entendu Emma dire après son accident « si je reviens à la scène je refuserai encore d’en porter. Ils sont trop laids… ». Je suis tout à fait de son avis.
Je trouvais cette recherche aveugle de l’esthétique d’une stupidité irritante.
– Bon, dis-je pour mettre fin à cette conversation, puisque tu sembles si attachée à paraître belle, fais- moi donc les honneurs de ta loge ! »
Son visage s’éclaira, elle fourra sa petite main dans la mienne et m’entraîna avec une force que je n’aurais pas soupçonné. Nous nous retrouvâmes dans le long couloir où j’avais atterri à mon arrivée. Là où il n’y avait pas âme qui vive tout à l’heure, se trouvaient maintenant milles âmes affairées.
« Place, place ! » lançaient des modistes tirant de grands portants sur lesquels s’étalaient des costumes multicolores ; ça et là bondissaient des tutus en riant, un homme poussait des vocalises, un autres essayait de se frayer un chemin les bras chargés de perruques.
On se serait cru dans le métro à l’heure de pointe, tout le monde ayant bouffé des champi hallucinogènes. Je n’eus malheureusement pas le temps de m’attarder car déjà Émilie m’attirait dans une des pièces qui s’ouvraient le long du couloir.
« C’est ma loge ! lança-t-elle joyeusement.
– Ah… Répondis-je beaucoup moins joyeusement.
– Fin de l’Acte III-
A ceux qui trouveraient que la soirée de l’Opéra est passablement longue à arriver, je leur réponds que je suis tout à fait de leur avis ! Si j’avais su que je me ferais alpaguer de la sorte, je me serais pointée plus tard. Toutes ces « viedemerde.com » sont très intéressantes mais il n’empêche que je n’ai toujours pas pu faire ma petite visite des caves… Ben quoi ? Faut bien qu’on le dégote ce fantôme !
Ce sera pour l’Acte IV…
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Bonjour,
J’ai moi-même écrit un livre sur le tragique mais fascinant destin d’Emma Livry, ausi je me permets d’apporter une petite correction à votre sympathique récit… Emma Livry prit feu sur la scène de l’Opéra Le Pelletier (qui brûla lui-même en 1873), et mourut de septicémie en juillet 1863… donc bien avant que l’Opéra Garnier ne soit construit. Mais c’est un détail !
Une bonne journée à vous,
Audrey Alwett