Chers spectateurs, pas le temps de vous faire mon blabla habituel car le spectacle est en train de commencer ; dépêchez-vous de prendre place à l’Opéra Garnier.
PS : les retardataires sont priés de se rendre d’abord dans la salle « Le Fantôme de l’Opéra – Acte I » et de ne pas moufter quand ils entrerons dans la salle de l’Acte II que voici.
Allez, hop, c’est parti, suivez-moi !
Résumé de l’Acte I :
« Opéra Garnier – 17 Janvier 1876 – 16H30 – Temps maussade – Humeur maussade »
Je viens d’arriver à l’Opéra Garnier et j’assiste à la répétition d’un ballet grâce à mon pote Charles (Garnier, évidemment !). Une dame étrange vient s’asseoir à côté de moi.

Répétition de ballet, Degas
« Euh… on se connaît ? Demandais-je quelque peu ennuyée d’être ainsi perturbée.
– Je ne pense pas Mademoiselle, il y a bien longtemps que j’ai quitté l’Opéra, me dit-elle d’un air grave.
– Et bien, je vous mets à l’aise, moi c’est la première fois que j’y fous les pieds !
– Et moi la dernière, sûrement… »
Cette dame me paraissait bien mélancolique, je la dévisageais. Elle était encore belle malgré ses cheveux gris et sa peau froissée. Ses grands yeux noirs avaient une profondeur dramatique et tout son visage dégageait un je ne sais quoi qui forçait le respect.
« Pardonnez mon indiscrétion, mais qui êtes-vous ?
– J’étais Cornélie Falcon… mais la cantatrice est morte. Je ne suis plus que le fantôme de l’opéra.
– Cornélie Falcon ? Connais pas… Par contre je connais bien le Fantôme de l’Opéra et je peux vous dire que ce n’est pas vous ! Déjà il habite dans les caves de l’Opéra, et surtout il est super moche !
Elle rit :
– Vous êtes très curieuse Mademoiselle ! »
Je réalisais qu’elle ne devait pas connaître le Fantôme de l’Opéra puisque le roman de Gaston Leroux paru seulement en 1909.

Cornélie Falcon dans La Juive
Elle poursuivit :
« Dieu m’a paré d’un don extraordinaire qu’il m’a aussitôt repris : ma voix. Peut-être s’est-il courroucé parce que je ne l’ai point servi comme je m’apprêtais à le faire… »
Je la regardais sans comprendre mais pour une fois j’eu la sagesse de me taire.
Devant mon air interrogateur elle s’expliqua :
« J’ai perdu ma voix après à peine 5 ans de carrière à l’opéra. »
Son visage s’était contracté de douleur. Mal à l’aise, je voulus dédramatiser :
« Vous savez, ce n’est pas parce que vous avez chanté dans un opéra plutôt que dans une église que vous avez perdu votre voix, ou alors Dieu est un sacré enfoiré ! »
Encouragée par son petit rire je me lançais d’un air docte dans des explications médicales que j’avais lues un jour par hasard :
« C’est un problème d’hormones, voyez-vous. Moins on a d’œstrogènes, plus on galère. Donc si vous avez vos règles ou la ménopause, couic : une voix de crécelle ! Et si vous ajoutez à ça un régime Dunkan, c’est le drame ! Prenez la Callas par exemple, ménopausée à 40 ans et devenue super mince pour plaire aux mecs ; ça n’a pas raté, elle a perdu…
– Mademoiselle, me coupa-t-elle, je vous suis grée de toutes ces explications scientifiques mais sachez que j’avais à peine 26 ans lorsque ma voix s’est brisée nette, que mince je l’ai toujours été, et que si je vous parle de Dieu c’est que je m’apprêtais à embrasser une vie monastique en tant que religieuse. »
Pour le coup c’est moi qui perdis ma voix, ne sachant que répondre. Quant à elle, son regard fixait le néant, elle semblait loin, très loin…

Maria Callas
« Je n’avais jamais vu une foule pareil ce soir-là devant les portes de l’Opéra, dit-elle presque en chuchotant. Tout Paris m’attendait là, depuis deux ans qu’il ne m’avait pas vu. Était-il venu voir l’envol de la belle ou la mort de la bête ? Je ne saurais dire… Tout ce que je sais, c’est que ces gens-là avaient suivi mon infortune. Mon maître et partenaire, le grand Ténor Nourrit, celui que j’aimais de toute mon âme s’était jeté par la fenêtre quelques jours avant parce qu’il avait perdu sa voix… j’aurais dû l’imiter car là encore il me montrait l’unique « voie » lorsque l’on n’a plus la sienne… Mais non, au lieu de ça j’ai espéré… Je suivais à la lettre tous les remèdes des charlatans, je poussais ma voix, je parvenais à un Sol et parfois au prix d’efforts au Sol Dièse. Mais les Contre Uts étaient arrachés et le Médium fuyant, le La et le Si tellement rares…
Or ce sont ceux-là qui trouvent les appointements de 60 000 francs et la ferveur du public…
Elle sourit et secoua la tête tristement :
« Mais j’ai cru au miracle… jusqu’au bout. J’ai préparé des extraits de La Juive et des Huguenots pour mon grand retour, ceux-là-mêmes qui avaient fait mon succès, pensant qu’ils me porteraient chance… Je me rappelle encore les mots de Théophile Gautier en me voyant entrer sur scène : « Ce sont toujours les longs yeux passionnément noirs, la chaude paleur juive, le bel oval mélancolique, les cheveux abondants et superbes, la même ardeur inquiète et nerveuse, c’est bien Cornélie Falcon… ». Mais Cornélie déjà n’était plus. Dès les première notes je compris… ma voix était incertaine, j’avais mal, les larmes me montaient aux yeux. Je luttais de toutes mes forces, je devais continuer, continuer à tout prix…
Je la regardais intensément, immobile ; puis elle reprit comme pour elle même :
« Continuer à tout prix pour ne pas décevoir le public, pour ne pas se décevoir, et surtout… pour ne pas s’avouer que tout est fini ! Des sanglots se mêlaient par moment à mon chant. Alors, dans un ultime effort j’ai cherché à reproduire les sublimes accents de la passion de Rachel. Mais je n’ai réussi qu’à m’arracher un râle cruel puis je m’évanouis. A peine entendis-je les bravos de l’infortune, tristes échos de mes triomphes qui sonnaient maintenant comme une oraison funèbre…

Mila Kunis, Black Swan
Un long silence suivit ces paroles. Puis d’une voix sourde elle ajouta :
« Depuis, je les entends chaque jour, ces funestes bravos qui me rappellent, chaque jour, que Cornélie est morte. »
Des larmes coulaient doucement dans les sillons que la vieillesse avait délicatement tracés sur ce touchant visage. La sérénité aurait dû être l’apanage de ce bel âge, or la douleur lui conférait quelque chose de dramatique et d’injuste qui me révolta.
« Non, Madame, vous n’êtes pas morte ! M’entendis-je crier. Votre voix a peut-être disparue mais il vous reste votre âme qui est plus belle encore ! »

Classe de danse, Degas
Un silence venait de se faire autour de nous. Je levais les yeux, les danseuses avaient interrompu leurs mouvements, la professeure s’était retournée vers nous, même le piano s’était tu. Le temps semblait suspendu. Je restais là, encore secouée par l’intense émotion du récit de cette vieille dame.
Tout à coup, tout ce petit monde fondit sur nous avec une rapidité déconcertante. Quadrilles, coryphées, premières danseuses, danseuses étoiles, tout ce que la salle comptait de tutus et même cette menthe religieuse de professeur qui en avait lâché sa baguette (Lire Le fantôme de l’Opéra Acte I), s’agenouilla autour de nous : « C’est la Falcon, c’est la Falcon ! » entendait-on chuchoté de toutes parts.
Manifestement, personne ne l’avait encore remarqué.
Des mains se tendirent, puis toutes se mirent à parler à la fois, à questionner, presser, embrasser, s’exclamer, des « Mon dieu, mais depuis quand êtes vous là ? », « Quel bonheur extraordinaire de vous revoir Madame ! », « Allez-vous revenir chanter ? » fusaient de toutes part.
Je compris que la parenthèse enchantée que j’avais eu le bonheur de vivre venait de se fermer aussi brutalement qu’elle s’était ouverte ; l’émotion enchanteresse était en train de faire place à un cassage de ciboulot en règle. Alors, avant d’avoir la tête comme un gros chat par tous ces jacassements, je me leva d’un bond. J’empoigna ma valise, puis me dirigea machinalement vers la sortie la plus proche.
L’esprit encore occupé de cette terrible histoire, je marchais au hasard quant tout à coup je me retrouva sur la scène… La vraie, la grande, avec le lourd rideau rouge, les grands décors et surtout… devant la salle de l’Opéra !
Encore une fois le syndrome du gallinacé s’empara de moi (lire : le fantôme de l’Opéra- Acte I) : les yeux ronds, la bouche en cul de poule et l’air incroyablement stupide, je m’étais arrêtée pour contempler le spectacle qui pour une fois ne se trouvait pas sur scène mais dans la salle.

Salle de l’Opéra Garnier
Une mer de fauteuils rouge s’étalait devant moi, et promenait avec impertinence sa couleur d’amour le long des dorures des balcons. Sans doute par la couleur alléchée, ces balcons en grands habits dorés et sculptés, s’avançaient à qui mieux mieux entre les 3 étages. De gigantesques colonnes corinthiennes retenaient par endroit leur brutale ardeur.
Un lustre monumental présidait cette débauche de luxe du haut de ses 8 tonnes.
340 globes de cristal caracolaient dans une farandole du plus bel effet sur des cercles d’or, le tout savamment orchestré par de grandes lyres qui embrassaient à intervalle régulier ces soleils ardents. Moultes pampilles de cristal, se pâmant de tant de précieux reflets, s’évanouissaient et formaient de longues guirlandes.
A ce spectacle, plusieurs histoires me revinrent à l’esprit sous un nouveau jour. Je n’avais jusque là pas accordé une très grande importance aux jérémiades de mon copain Charles au sujet de son lustre.
Je me doutais bien que ce dernier devait être assez conséquent vu le nombres de fois où il s’était fendu d’un : « Désolée les amis, mais je ne pourrai pas sortir avec vous ce soir car j’ai un lustre à finir ! ».
Vu la récurrence de l’excuse, j’en avais conclu que soit Garnier ne voulait plus voir nos tronches, soit que le lustre devait effectivement être monumental. Au moins sur ce point je venais d’être rassurée.
Je venais aussi de comprendre pourquoi tant de personnes lui avait pris la tête avec des :
« Mais ce lustre est enoooorme ! Pas du tout adapté à cette salle, il va en gâcher l’acoustique, disait l’un.
– Et la vision ! renchérissait l’autre. Il va occulter toute une partie de la scène ! »

Lustre de l’Opéra Garnier
Tout faux les casses-noisettes ! Pas un qui devina ce qui allait se produire quelques années plus tard, pourtant bien prévisible dans un tel Opéra avec un tel lustre : une tragédie digne des grecs qui eut le mauvais gout d’être bien réelle. En effet, une partie de la salle se prit le lustre sur le coin de la gueule le jour où un contre-poids péta ; ce qui péta la tête d’une pauvre concierge qui se trouvait là, et qui, dans un élan tragique y laissa sa vie.
Et point besoin de fantôme, comme nous le fait croire Leroux dans son roman, pour expliquer la chute du luminaire : les nombreux « remontages » et « redescendages » de la bête pour sa maintenance y avaient évidemment suffit…

Maquette de la coupole réalisée par Lenepveu (comme elle est petite elle n’a pas l’air top moumoute, mais en fait, elle déchire !)
Je précise encore que le lustre fonctionnait au gaz en ce 19ème siècle ; il est donc aussi heureux que fortuit que nous n’ayons pas eu à déplorer, en plus, un incendie de derrière les fagots !
Cela ne m’empêcha pas de contempler la grande coupole qui le surmontait, et dans laquelle s’étalait une magnifique fresque picturale de Lenepveu. Toute la mythologie s’était donné rendez-vous là : Apollon, Venus, Diane, les muses de la musique, des heures du jour et de la nuit, de l’amour, du chant, et j’en passe… Le tout était résumé dans le titre : « Triomphe de la beauté, charmée par la musique au milieu des heures du jour et de la nuit ».
Quant à moi, le tout était résumé dans un laconique : « P*** de M*** ! »
Aussitôt suivi du développement de ma pensée :

Fresque de Chagall ayant remplacée celle de Lenepveu, Opéra Garnier (grâce aux dorures du plafond et au magnifique lustre on pourrait presque croire que c’est bien, mais non…)
« Mais qu’est-ce qu’ils ont été remplacer ça par du Chagall ces trous du … »1
(pour comprendre cette interjection fleurit, voir la note de l’auteur en bas de page)
Tout à coup, mon élan de vulgarité fut interrompu par un bruit qui me fit sursauter au point d’en lâcher ma valise.
Cela fit un bruit assourdissant, amplifié par l’acoustique de la salle, ce qui ajouta à ma peur et visiblement, provoqua celle de l’auteur de mon sursaut.
– Fin du Deuxième Acte –
1 Note de moi-même… enfin, de l’auteur :
Pour bien comprendre ce que vient foutre Chagall dans l’histoire, voici un petit complément d’info :
Au 21ème siècle, si vous levez les yeux sur la coupole, ce n’est point un sein d’albâtre de Vénus, ni une peau diaphane de Diane que vous pourrez admirer. Hélas, ne s’offrira à vos yeux attristés qu’une succession de gribouillages recouverts violemment par des couleurs toutes aussi violentes, et que vous auriez pu attribuer à un élève de primaire si l’on ne vous avait pas dit que c’était du « Chagall ».
Cependant je ne fustigerai pas ce malheureux Chagall, déjà parce que moi non plus je ne sais pas colorier sans dépasser, mais surtout parce que ce n’est point lui qui a imposé sa toile. Or cela est fort louable à notre époque, où les artistes imposent leurs déjections (sous prétexte de « modernité ») dans des lieux inappropriés afin de laisser leur empruntes comme le ferait un chien en pissant sur des fleurs – voilà, ça c’est dit !
Les « trous du… » susnommés dans le texte se réfèrent à Malraux, ministre de la culture, qui un beau soir de 1962 alors qu’il assistait à une représentation à l’Opéra eut l’idée de faire appel à Chagall pour colorier une coupole en plastique. Coupole qui fut fixée par dessus celle de Lenepveu.
Ne nous en déplaise car cela aurait pu être pire : le bonhomme étant aussi un fervent admirateur de Picasso, nous aurions pu nous retrouver avec une grosse andalouse barbue en train de pisser.

La Pisseuse, Picasso (ce tableau n’est pas une blague, c’est juste du Picasso…)
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c’est génial entre les anachronismes et l’humour, je me suis régalé
Acte aussi réussi que le précédent! C’est un bonheur d’apprendre ces anecdotes de l’histoire à travers
ta plume.
j’ai pris beaucoup de plaisir aussi…mais pour la conjugaison au passé simple des verbes du premier groupe, à la première personne du singulier la terminaison est AI et non A qui s’utilise à la troisième personne. On écrira donc, je me levai au lieu de « je me leva », j’empoignai et non « j’empoigna », je me trouvai et pas je me trouva…
Je vous souhaite bonne continuation, amusez-vous comme vous amusez vos lecteurICEs.
Bien à vous
VS
I found just what I was needed, and it was enrigtaenint!