Mes chers amis, m’entrainant à l’art du roman dans le but d’écrire un livre, j’ai profité de ma visite à l’Opéra pour m’essayer à la chose. Comment ça, quel Opéra ? Garnier naturellement, what else ? Certainement pas cette déjection mittérrandienne place de la Bastille qui de toute façon n’existait point à l’époque où nous allons.
Tout ceci pour vous avertir que ma petite sauterie à l’Opéra se fera au rythme de ce dernier donc en 3 actes… ou plus….enfin on verra bien.
Sur ce : en avant la musique, violons, tambours, Orchestre !
Allez, hop, c’est parti, suivez moi !
Opéra Garnier – 17 Janvier 1876 – 16H30 – Temps maussade – Humeur maussade
Je suis arrivée en courant sous une pluie diluvienne à l’Opéra Garnier, chose malaisée avec des talons, une valise et des fiacres qui manquent de vous écraser (tous les mêmes ces chauffeurs de taxi !).
A peine arrivée, je me suis faite jetée.
On m’a poliment, mais fermement, expliqué que cette entrée de la rue Scribe était réservée aux « abonnés ».
– Aux quoi ?
– Aux riches Messieurs qui paient leurs places à l’année, me répondit-on d’un air sarcastique.
– Ah ! Aux bourgeois-gentilshommes qui se tapent les danseuses ? Répliquais-je d’un air encore plus sarcastique. En effet, ce n’est pas l’entrée que je cherche. Où se trouve donc celle réservée à l’empereur ou à l’architecte du monument ? »
On me regarda bizarrement, puis on éclata de rire. Je pris conscience qu’une telle demande pouvait surprendre avec mes yeux de panda (effet bien connu par les filles qui portent du mascara sous la pluie) et mes cheveux de teckel mouillé.
Je souris d’un air indulgent :
« Dites-moi seulement où se trouve mon ami Charles s’il vous plait ?
– Charles qui ?
– Celui qui a construit le petit guichet où vos fesses sont posées et, de manière générale, l’endroit qui vous emploie. »
Il faut croire que l’on ne me prit pas plus au sérieux car on me ferma le guichet à la tronche.
Je me drapais dans le peu de dignité qu’il me restait et je me dirigeais à grands pas vers la seule entrée ouverte et aussi la moins théâtrale : l’entrée du personnel.
J’arrivais en trombe dans un petit vestibule et gravis une flopée de petites marches sans même prêter attention aux personnes qui m’interpellaient.
J’étais furax. Mon copain Charles Garnier, qui avait fini par céder à mes supplications, m’avait invité à une représentation dans son opéra le soir même. J’avais bien essayé de m’incruster à la méga-grosse teuf prévue pour l’inauguration de l’Opéra le 5 Janvier 1875, avec le tout le gratin (le nouveau président Mac-Mahon, les familles royales de toute l’Europe, les plus beaux partis de France…), malheureusement Garnier avait été intraitable : « Non !
– Pourquoi ?
– Parce que j’ai trop de choses à gérer ce soir-là, sans devoir en plus vous gérer, très Chère !
– Quoi ? M’exclamais-je vexée comme un poux. Après tout, ajoutais-je de fort mauvaise foi, je n’ai pas envie de voir un spectacle au milieu d’échafaudages ! Rappelle-moi quand tu auras enfin finit ta baraque ! »
Un petit aparté s’impose : au jour de l’inauguration de l’Opéra, après y avoir passé 14 laborieuses années, Charles n’avait pas pu finir entièrement son œuvre ; notamment l’aile réservée à l’Empereur Napoléon III. Le pauvre avait dû essuyer bien des déconvenues politiques et sociétales. D’abord la guerre de Prusse, que Napoléon III avait eu la fâcheuse idée de perdre ; puis la Commune, que les Parisiens avaient eu (l’heureuse ?) idée de faire. Bref, plus de pognon et plus d’empereur pour veiller sur l’Opéra qu’il avait lui-même commandé. Je passe sur les déconvenues relatives à la construction, comme ce fameux jour où l’on découvrit en forant que le sol était plein de flotte et qu’il était impossible de construire quoi que ce soit dessus…
Tout ceci explique donc que certaines choses étaient restées en suspend, et le sont encore de nos jours. D’autant que l’empereur mort, la IIIème république se demandait bien que faire avec un aussi beau symbole du second empire ! Il fut même question pendant un temps de le détruire… (Ah ! Bêtise et Vanité quand tu nous tient…)
Pour en revenir à nos moutons, il était clair qu’on ne voulait pas de moi pour cette soirée d’inauguration, chose qui m’échappe et m’agace encore… Je n’étais donc pas fâchée d’apprendre que ce soir-là, dans l’agitation collective, on avait oublié d’inviter Charles. L’architecte du monument s’était vu refusé l’entrée des guest stars comme un malpropre (ou comme moi tout à l’heure) et fut obligé d’acheter un billet. Bien fait !
Billet que je n’aurais, quant à moi, certainement pas pu m’acheter sans braquer une petite vieille dans la rue (ça coûte la peau du uc l’Opéra !). Heureusement je n’ai point eu à le faire puisque comme je vous le disais tout à l’heure, Charles m’avait invité à la représentation de « La Juive » de ce soir, celle-là même qui fut joué le jour de l’inauguration. Coup de bol ou délicate attention de Charles ? Allez savoir…
Mais, alors me direz-vous, qu’est-ce que je foutais à l’Opéra en plein après-midi si la représentation n’était que le soir ? Question fort pertinente, tout comme la réponse : aller à l’opéra Garnier sans voir de danseuses étoiles, c’est comme aller chez Zara sans acheter de fringues : impensable !
Charles dû comprendre une aussi pertinente comparaison car il me conseilla d’aller aux répétitions des ballets qui avaient lieu l’après-midi.
« Ou sinon tu pourrais aussi m’inviter à un spectacle de ballet… (moi – qui me dis que sur un malentendu…)
– Non ! (Charles – énervé)
– Radasse ! (moi – ingrate)
– Quoi ? (Charles – très énervé)
– Non, rien… pfff… » (moi – qui m’esquive rapidos…)
Voilà donc pourquoi je me retrouvais en plein après-midi dans un escalier tout moche, que j’avais peine à gravir avec ma grosse valoche alors qu’on m’avait dit :
« Tu verras l’escalier ! Tout ce marbre, tout cet or ! »
Mouais…
Ah oui, la valise c’était pour mes fringues de gala. Je ne pouvais décemment pas débouler en legging / t-shirt Mickey à une soirée d’Opéra.
Comment ça une tenue de soirée ça pèse que dalle ? J’aurais voulu vous y voir ! Juste le chapeau nécessitait mes deux mains pour être soulevé – je pense qu’il y avais là dessus tous les volatiles de la ménagerie de Vincennes. Quant au faux-cul, il devait être encore plus lourd que mon vrai, c’est vous dire…
Tandis que j’avançais dans un long et austère corridor sur lequel s’ouvraient d’innombrables loges, j’entendis soudain du Mozart… à moins que ça soit du Bach ? Quoi qu’il en soit, j’en oubliais un instant ma mauvaise humeur et me dirigeait vers l’ode, alléchée !
Je ne fus pas déçue : J’arrivais sur le seuil d’une pièce où je vis.. je vis… rien ! Sortant de la faible luminosité du couloir, je fus éblouie. Je crus que milles soleils me dardaient leurs rayons en pleine poire. Je restais là, à cligner des yeux comme une poule ahurie jusqu’à ce que je puisse enfin les ouvrir et recouvrer un air presque intelligent. L’air intelligent fut de courte duré, car j’ouvris aussitôt des yeux aussi ronds que ma bouche (en cul de poule, donc, pour rester dans le registre du gallinacé).
Mon dieu mes amis, ce n’était point des soleils, c’était de l’or ! De l’or partout, dont le scintillement était excité par milles chandelles et répété à l’infini par un miroir… Mon Dieu mes amis, ce miroir ! Vous n’en avez jamais vu de tel…de toute la hauteur et la largeur du mur ; et quel mur ! Et ce lustre, et ces peintures… « Mazette ! Mais c’est Versailles ici ! » m’écriais-je en lâchant ma valise.
Quelques rires étouffés me parvinrent et des dizaines de paires d’yeux étaient fixés sur moi. Je me rendis compte à ce instant que si cette pièce était illuminée, on devait penser que moi, en revanche, je n’avais pas la lumière à tous les étages.
« Bonjour, je suis l’amie de Charles Garnier ! » Lançais-je à la ronde d’un air que je voulu imposant.
J’observais avec délice l’effet réussi sur les petits rats en tutu rose qui me regardaient maintenant comme le messie, quand tout à coup ma délectation fut interrompue par un :
« Ah oui, c’est vrai il m’a prévenu, arf… Bon, allez vous asseoir dans ce coin pour ne pas gêner. »
Aussitôt, la grande femme en justaucorps noir qui venait de prononcez ces paroles, reprit de sa voix autoritaire :
« Replacez-vous Mesdemoiselles, pliez, pointez – BRAS TENDUS Gabrielle – respirez, étirez, NON ! On ne dépasse pas !»
Sur quoi elle administra un coup de baguettes au hasard sur les jambes et les bras qui dépassaient. Le coup de baguette me décida à aller m’asseoir dans un coin sans demander mon reste.
J’appris plus tard que cette femme était Marie Taglioni, une ancienne danseuse étoile, la première grande ballerine « romantique ». Je dois dire que le côté « romantique » n’était pas très frappant, et que la seule chose frappante au premier abord était sa baguette.
Mais j’appris encore plus tard que le « romantisme » en danse ne désignait pas prendre un air niais muni d’un gros nœud rose dans les cheveux et d’un tutu à fleurs.
Cela signifiait monter sur les premières « pointes » sans effort apparent, pour acquérir la grâce et la légèreté d’un papillon. L’imitation du vol éthéré de l’insecte était renforcée par l’apparition des mousselines vaporeuses, des mouvements aériens… C’est ainsi que je compris pourquoi mon pote Charles avait peint des papillons dans ce foyer de la danse. Ce n’était point une mièvrerie douteuse de sa part, comme je l’avais cru, mais bien pour rendre hommage à la danse romantique fort en vogue en ce XIXème siècle.
En fait de papillon, c’était plutôt une mente religieuse qui trônait au milieu de la salle, aussi droite et sèche qu’un coup de trique, sa voix couvrant par moment si bien la mélodie du piano qu’on aurait dit que même les notes se taisaient de peur.
« Le corps de ballet porte bien son nom ! Je veux voir un seul corps et pas les vôtres mesdemoiselles. En ligne, collées ! Une seule ligne de jambes, pareil pour les bras. Un, deux, trois… VOUS ETES EN RETARD Emilie ! »
Paf, re-coup de baguette !
« Ben, dis donc, si on nous faisait apprendre comme ça à l’école, le niveau de la France serait peut-être moins pourri ! » pensais-je amusée.
Je regardais avec ravissement tous ces petits pieds arqués sur leurs pointes, toutes ces jambes menues et nerveuses, ces corps souples et cambrés. Et tous les gestes, précis, gracieux ; les tutus de gazes roses virevoltants en cadence.
Mon regard se promenait sur ces danseuses, sur ces murs, sur cette splendeur d’un autre temps.
Mon imagination m’emporta à Versailles. Un jeune homme d’environ 15 ans exécutait de savantes pirouettes avec la grâce de la beauté et du talent. Son costume d’or jetait milles feus, on ne voyait que lui. Il n’était pas encore le Roi mais déjà il était le Soleil. La danse n’a pas à rougir de son père. Excellent danseur, Louis XIV avait fini sa carrière en apothéose à 32 ans, dans le rôle d’Apollon. Le Soleil était alors dans toute sa gloire et porta son rayonnement sur la danse. Il fonda l’Académie de la Danse, celle de Musique puis enfin l’École de Danse. Il professionnalisa cette discipline pour lui donner la grandeur qu’on lui connaît… et que je voyais s’exécuter magnifiquement sous mes yeux.
Je fus soudain arrachée de mes pensées par une présence. Une dame d’un certain âge s’était s’installée près de moi, elle me sourit.
« Euh… on se connaît ? » Demandais-je quelque peu ennuyée d’être ainsi perturbée dans mes rêveries.
« Je ne pense pas Mademoiselle, il y a bien longtemps que j’ai quitté l’Opéra » me dit-elle d’un air grave.
« Et bien, je vous mets à l’aise, moi c’est la première fois que j’y fous les pieds ! ».
– Fin du Premier Acte –
Chers spectateurs, l’heure de l’entracte a sonné. Charles Garnier, moi-même et tous les personnages de cette scène espérons que vous avez passé un bon moment en cette fin de 19ème siècle. Des rafraichissements et snacks seront servis au 21ème siècle (par vous-même) et nous serons heureux de reprendre ce spectacle dans quelques jours en votre compagnie !
– Applaudissement – (Ben, alors ? Applaudissez !)
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merveilleusement drôle et bien décrit, j’attends la suite avec impatience…. merci 😉
Voyage agréablement plaisant et style aussi aérien qu’un gracieux pas de danse!
Joliment écrit… et cela sans compromettre ton franc parlé et ta gouache habituelle ! Vivement le bouquin !
Je suis décidément fan de ta plume et de ton style. Un bouquin prévu bientôt ? J’ai hâte !
J’applaudis des deux mains!! c’est gracieux, captivant d’intérêt et couronné par ta drôlerie…Je suis impatiente de
lire la suite!
Bien vu avec le recul du 21e siècle et au passage bel hommage à ce lieu merveilleux
c’est bien, mais j’ai relevé un ‘petit’ anachronisme ! je ne pense pas que les leggins et les tee-shirt Mickey existaient à l’époque !