Voilà bien une visite-conférence comme je les aime : il y a du poil pubien, de la cellulite aux cuisses et de la fesse bien rebondie. La symbolique côtoie le réalisme, le révérencieux côtoie l’irrévérencieux. Les bien-pensants s’offusquent et c’est toute une société qui est en mutation, bienvenue dans l’art du nu !
Vous avez hâte de voir ça, hein ? Ça tombe bien, moi aussi !
Allez hop, c’est parti, suivez-moi !
Mesdames ne vous en déplaise, nous allons principalement parler du nu féminin.
Comment ça, pfff ?
Mais au contraire, votre corps inspire ! L’artiste peint des formes pleines, généreuses, toutes en courbes et c’est un désir charnel qui envahit le spectateur. Il s’en indigne, monte sur ses grands chevaux, et jette sa vindicte sur le pauvre peintre qu’il rend responsable de ses coupables pensées. Mais, entre nous, le peintre n’est pas si innocent…
Oh ! Que de drames plaisants en perspective…
Juste un mot pour que vous puissiez comprendre pourquoi on ne parlera pas de nu masculin : il est sans surprise… C’est une suite de lignes abruptes, nerveuses et sèches. Alors oui, c’est un joli symbole de virilité, fréquemment utilisé dans la peinture religieuse :
« Oh ! un beau Saint Jean Baptiste ; tiens, un Saint Sébastien ; ah… un autre Saint Machin… Bon, on s’en va ? »
Vous voyez ? On s’ennuie dès l’intro. Allez messieurs, rhabillez-vous et faites place au dames !
Mais attendez Mesdames, ne vous la pétez pas trop vite, car avant de faire les divas en peinture il va falloir faire profil bas.
En effet, avant le 19ème siècle, c’est plutôt ambiance : « cachez-moi cette femme nue que je ne saurais voir ».
Euh… et on fait comment au juste ? On la rhabille ?
Mais non, malheureux ! Rien de plus simple, petite démo qui date de l’antiquité :
Tout d’abord, faire des corps tout en courbes et aux proportions parfaites (genre toutes les femmes sont des clones de Kate Moss ! enfin avec 20kg de plus …).
Ensuite, peindre des peaux laiteuses et sans défaut (genre l’Oréal, parce que je le vaux bien).
Enfin, et j’insiste sur l’importance de ce dernier point : pas de pilosité ! Rien, nada, que dalle, walou.
S’il y a un poil, c’est que vous êtes en train de représenter une pute (les temps ont changé, maintenant c’est plutôt l’inverse…)
Boring cette représentation du nu ? Que dites-vous là jeunes incultes ! Ceci s’appelle l’Art Académique, qu’il ne vous en déplaise.
Ok, c’est vrai, il nous en déplaît car bonjour la guimauve gerbante : beau, bon, mais écœurant.
Et pourtant, des Naissances de Vénus, on va en ingurgiter au cours des siècles…. Même Zola dira de la Naissance de Vénus de Cabanel « c’est une lorette en pâte d’amande rose et blanche baignant dans un fleuve de lait ». Et Dieu sait que pour écœurer Zola, il en faut ! (Pour info une lorette est une catin, en référence aux femmes qui se prostituaient rue Notre-Dame de Lorette.)
Il y a bien quelques variations un peu plus « osées », genre « La Naissance de Vénus » de Bouguereau ou « La Vérité » de Lefebvre : oulala ! ils ont légèrement ombré le pubis, les ouf !
Mouais, c’est sympa, mais on n’a pas traversé tout Paris pour ça…
Allons donc voir du côté des dissidents.
Ceux-là ont trouvé la parade : point de guimauve mais de la vraie fesse et du nichon, tout en restant dans l’Art Académique. Compliqué, dites-vous ? C’est sans compter sur la bêtise des bien-pensants et autres juges des beaux-arts…
Leçon en deux actes :
1/ Peindre la nana nue comme bon vous semble.
2/ Donner un titre noble au tableau.
Attention : C’est le titre qui va cautionner le tableau, donc il ne faut pas se planter. Un titre acceptable est un titre se référant soit à la mythologie (je recommande vivement car très en vogue) soit à l’Histoire, soit à la religion, point final. Ces thèmes sont très bien vus car considérés comme hautement intellectuels.
Ensuite, si on vous questionne sur la nudité de votre sujet, jouez la carte de la mauvaise foi à fond : « Comment ça c’est une femme nue ? Que nenni mon cher, cessez d’être vulgaire et lisez donc le titre, c’est Athéna dans toute sa gloire ! (et surtout tel que Zeus l’a faite, hihi !)
C’est ainsi que Bouguereau représente une orgie avec plein de femmes à poil qui courent partout, et de nous expliquer qu’en fait ce sont des Oréades (jeunes femmes de la mythologie) qui regagnent à l’aube le royaume des Dieux. Élémentaire mon cher Watson, puisque le tableau s’appelle les Oréades. (Et moi si je m’appelle Oréo, c’est que je suis un gros gâteau ?)
Alors, toujours envie de bailler ?
Attendez, j’ai encore mieux ! Ça va vous plaire : les courtisanes…
On est au 19ème siècle, forcement. Avant ce siècle béni, on n’en parle à peine des courtisanes, elles sont juste bonnes à mettre dans un plumard, et encore… Alors les mettre dans l’art, vous n’y pensez pas !
Ben si, au 19ème certains y pensent, notamment en ce qui concerne les demi-mondaines (courtisanes au top de leur carrière). Elles ont leurs détracteurs : la société, et leurs admirateurs : les artistes. De peintres fauchés à courtisanes, il n’y a qu’un pas ; et tout ce petit monde se côtoie pour notre plus grand bonheur.
Commençons par l’un des plus trash de ces peintres, j’ai nommé : Monsieur Courbet.
Quand Gustave ne nous peint pas la mise à mort des cerfs c’est pour mieux se concentrer sur la mise à mort des mœurs.
Voyez donc ses techniques :
Il y a d’abord celle qui consiste à peindre comme un anatomiste : on ne cache rien, on n’embellit rien, on montre tout.
Ça donne quoi ? Un con ! Mais non pas un imbécile, rhooo… Un vrai con de femme avec les poils, l’entrejambe et tout et tout.
Alors, certes, le tableau lui a été commandé par un obsédé de la foune, le diplomate turco-égyptien Khalil-Bey, figure emblématique du Tout-Paris de l’époque. Mais quand même, ce n’est pas lui qui lui a tenu le pinceau ni soufflé le titre. Et là, c’est la cerise sur le gâteau ! Courbet ne cherche même pas à amoindrir le sujet par un titre « noble », au contraire, il en rajoute une couche avec ironie : « L’Origine du monde ».
On rigole, on rigole… mais n’empêche que j’attire votre attention sur la qualité de la peinture, sur le fini du rendu et des couleurs, qui nous rappelle quand même que Courbet égale bien ses maîtres que sont Titien et Véronèse.
Ensuite, il utilise la technique « je m’attaque à des mœurs taboues », comme l’homosexualité. Même au 19ème siècle, on ne plaisante pas avec ça (quant aux siècles précédents, lisez Tortures en tout genre), surtout en ce qui concerne l’homosexualité féminine, c’est THE tabou !
La série sur les baigneuses du Sieur Courbet est très évocatrice du sujet.
D’abord, parce que les femmes sont nues ou très dénudées. Ensuite, par ce qu’elles sont criantes de réalisme : il va jusqu’à peintre avec précision les tailles déformées par les corsets que les femmes portaient depuis l’âge de 13 ans !
L’impératrice Eugénie s’en récrie tout aussi crûment :
« Courbet représente les femmes comme Rosa Bonheur les juments percheronnes ! ».
Et oui, Courbet représente des femmes, des vraies, allongées côte à côte, dans des poses lascives. Il en deviendrait même lourdingue à rajouter des symboles, très suggestifs pour l’époque : et vas-y que je te rajoute des fleurs, des perles, des draps, etc., autant de choses faisant appel aux sens et qui symbolisent la sexualité.
Bref, avec Courbet, c’est au revoir Athéna, déesse de la guerre ; bonjour Mme « Tout le monde », déesse du plumard.
Puisqu’on en est à balancer des noms, autant y aller pour de vrai, hein Monsieur Manet ?
Victorine Meurent, ça vous dit quelque chose ? Ah, vous n’y étiez pas, vous, en 1863, au temps des impressionnistes, mais je peux vous dire que lorsqu’on a découvert «Le Déjeuner sur l’herbe» et
l’ «Olympia» de Manet, on l’a tous reconnue, nous, la Victorine !
Complètement nue, l’anatomie et la peau d’un réalisme choquant et dans des attitudes, hum, hum… Elle nous fixait dans les yeux en plus de ça !
Et ce n’est pas tout : dans le premier, elle est nue avec des hommes habillés (je ne vous raconte pas comme ça met encore plus sa nudité en valeur) et dans le second, l’«Olympia», avec un homme en érection… enfin tout comme : avec un chat noir à la queue dressée.
Mon dieu, mes amis, le scandale ! Les juges sont devenus rouges de colère, les braves gens s’étouffaient d’indignation. On a eu beau leur expliquer que les deux tableaux s’inspiraient des toiles de Titien («Le Concert Champêtre» et «La Venus d’Urbin») , rien à faire, il a fallu les décrocher illico. Quand je pense qu’ils étaient pourtant exposés dans le salon des refusés créé par Napoléon III. Se faire virer même de là, dur…
Le pauvre Manet a dû aller se cacher des critiques et consoler son chagrin chez son pote Baudelaire (au moins le copain avait le remède aux deux maux : la fumée d’opium).
Tenez, en parlant de lui, depuis quelque temps il est amoureux de sa demi-mondaine, Apolonis Sabatier. Elle lui fait de la résistance, ce qui peut sembler un comble pour une courtisane mais si vous voyiez l’animal, vous comprendriez (on l’appelle « la présidente », vous voyez le genre…).
Elle est belle à tomber ! Avec un corps tellement parfait (même pour le 21ème siècle, c’est vous dire…) que le sculpteur Clésinger fait un moulage de son corps nu pour réaliser sa sculpture « la femme piquée par un serpent ».
Qui dit moulage, dit hyper réalisme, du coup on voit tous les détails de son anatomie et même la cellulite de ses cuisses.
Elle est allongée dans une attitude presque d’extase sexuelle. Sa statue parait tellement vraie qu’on dirait que la belle dame va se relever d’un instant à l’autre et que nous, innocent spectateur, on va se faire choper en train de mater !
Autant vous dire que Clésinger s’est fait aligner comme ses petits copains au salon de la sculpture de 1847. Mais lui a choisi l’option « hypocrisie de l’art académique ». Il a rajouté un serpent aux pieds de la dame, deux/trois roses, plus un voile transparent sur le cuissot, et en avant que je te représente Cléopâtre.
Certes, il n’a pas appelé son œuvre ainsi mais c’est ce que ses imbéciles de contemporains y ont vu.
Je suis sûre que vous voulez savoir ce qu’il s’est passé entre Baudelaire et Apolonis, petits coquins !
Et bien après lui avoir fait la cour pour que dalle pendant 5 ans, un soir il réussit enfin à passer aux choses sérieuses. Et là, oh, milles malheurs ! Charles est déçu par sa muse et la congédie… Ben oui, c’est tout. Enfin non, il en naîtra un poème, et pas des moindres : « La Très Chère » (où, contrairement au gentil Clésinger, il ne fait pas que la déshabiller…).
Je cancane, je cancane… mais mon récit se fait long.
Juste un dernier mot sur l’évolution de cet art du nu : d’exposée et sexuelle au 19ème siècle, la femme nue bascule lentement, en ce début de 20ème siècle, dans une intimité feutrée.
Degas croque, avec la douceur de ses pastels, des courtisanes vulnérables dans leur nudité, triviales dans leur intimité.
De même que Toulouse Lautrec, qui, tout comte de Toulouse qu’il est, préfère la misère et la vérité au luxe et aux paillettes. Comme Degas, il s’enferme dans les bordels pour mieux dépeindre ces travailleuses du sexe usées d’un labeur déshonorant et accablées de malheurs répétés.
Malgré leurs bas noirs de courtisanes (les bas blancs sont réservés aux « honnêtes femmes»), il leur rend un semblant de dignité, en les peignant de dos ou de profil. Elles sont maigres à faire peur, leur dos n’est qu’os et creux. Mais ne vaut-il pas mieux peindre un dos osseux qu’un buste aux seins vides ?
Ainsi s’achève cette visite, qui aurait pu également s’intituler : « Splendeurs et misères des courtisanes », à l’instar du titre de Balzac qui figure dans sa « Comédie Humaine ».
Et c’est bien une comédie humaine que nous révèle ce 19ème siècle. En brisant les codes de la bonne morale, il nous parle sans détour de son temps, de ses mœurs, de ses tabous, de son opulence décadente comme de sa dure réalité. Un monde à deux vitesses, vers lequel on se précipite…
Faisant suite à l’Art du Nu, voici un sujet au « poil », pour nous y replonger justement… dans le poil pubien, le poil pas bien, bref …
Je me sentais d'humeur badine et le coeur léger ce jour là, alors je suis partie me promener au bois de Boulogne ; mais c'est …
Chers spectateurs, merci d’être de nouveau parmi nous pour ce troisième acte. Je salue votre ouverture d’esprit, votre résistance morale et votre appétit lubrique (ça …
Chers spectateurs, veuillez regagner vos places pour la deuxième partie de l’opéra « It’s Sade, so sad », entièrement composé et joué par… Sade. Si pour …
Des jardins à l'italienne, tels de petits soupirants, se pressent au pied d’une belle demeure renaissance alanguie. Plus loin, un immense lac étend son miroir …
Ce qu’il y a de bien avec le marquis de Sade, c’est que point n’est besoin d’une longue introduction pour le présenter, le nom dit …
En ce premier matin de lourde grisaille , je découvre ces pages et je m’envole enrobé de plis, cajolé de trous, titillé de poils,.
Il peut bruiner, mes yeux cherchent
l’orifice, le caliçe, le refuge de l’abricot défendu
L’atelier m’attend, j’y serai seul, j’y peindrai seul comblé de volupté