Ayant passé la nuit dans une petite auberge de Domrémy, le village de Jeanne, afin de l’accompagner le lendemain dans son grand voyage (Lire Jeanne d’Arc, la rencontre), je me réveillais à peine que Jeanne était déjà partie (j’aurais peut-être dû me lever avant 11h aussi !).
J’allais voir sa famille. Les pauvres parents étaient en pleurs, et ses frères, d’une pâleur effrayante. Seule sa meilleure amie, Haumette, était d’une tristesse touchante mais sereine. Pourtant elle ne savait pas non plus où était Jeanne, elle m’expliqua que son amie était partie sans même lui faire ses adieux : « elle ne dut pas en avoir la force » me dit-elle simplement.
Là tout de suite, j’ai un peu envie de pleurer, mais pas le temps de s’attendrir ! Il faut que l’on rattrape Jeanne rapidos les amis !
Allez hop, c’est parti, suivez-moi !
Beaucoup moins brave qu’elle, je mourais de trouille à l’idée de devoir traverser les immenses forêts entourant Domrémy. Déjà qu’au 21ème siècle j’ai du mal à traverser le bois de Vincennes seule, alors au Moyen Age en plein milieu des Vosges, je ne vous raconte pas… Je m’élançais pourtant et fis route, dents et fesses serrées, jusqu’à la ville de Vaucouleurs où j’étais sûre de la trouver.
Quel ne fut pas mon soulagement lorsque j’entendis cette voix douce et familière. Le ton était pourtant étonnement ferme :
« Que le Dauphin se maintienne mais qu’il n’assigne point de bataille à ses ennemis car le Seigneur lui donnera secours à la mi-carême. Il veut que le dauphin soit roi, ma mission est de l’emmener sacrer. »
Une autre voix, que je me doutais être celle du Sire Beaudricourt (seigneur de Vaucouleurs), s’éleva:
« Je soupçonne qu’il y a là quelques diableries, je dois m’entretenir avec le curé ».
Je souris dans ma barbe, peu étonnée de la réponse, et soulagée que Jeanne ne se prenne pas tout bonnement un bon coup de pied au cul, vu comme le Sire avait reçu son oncle auparavant (Lire Jeanne d’Arc, la rencontre).
Le curé vint et fit force simagrées ridicules, brandissant son étole et sa croix, comme si cette jolie jeune fille fut possédée.
Il eu beau faire, point de convulsions du corps, point de profération d’injures lubriques, point de tête tournant à 360°, mais une Jeanne droite et clame.
La foule de braves gens amassée-là ne s’y trompa pas : je ne sais si, comme moi la première fois, ils furent subjugués par la force tranquille et la douce candeur qui se dégageaient de la jeune fille, mais tous étaient dans une admiration recueillit.
Soudain, un gentilhomme qui voulait sans doute faire le malin, s’avança et lui dit :
« Mais ma mie, c’est ainsi, il faut que le roi soit chassé et que nous devenions anglais, personne ne vous mènera par devant le roi !
– Et cependant, répondit Jeanne, avant qu’il soit la mi-carême, il faut que je sois devers le roi, dussé-je pour m’y rendre, user mes jambes jusqu’aux genoux. Car personne au monde, ni rois ni ducs, ne peuvent reprendre le royaume de France, il n’a de secours que moi-même. Il faut donc que j’aille et que je le fasse, parce que mon Seigneur le veut.
– Et quel est votre Seigneur ?
– C’est Dieu. »
De hardi et goguenard, je vis soudain le jeune homme devenir grave. Il lut dans les yeux de Jeanne cette détermination et cette sincérité propre aux grandes âmes :
« Je ne connais pas votre nom, mais vous êtes une Sainte fille, je vous mènerai moi-même jusqu’au roi ».
Quelques autres jeunes hommes s’offrirent également. Quant aux braves gens de Vaucouleurs, convaincus de la mission divine de Jeanne, ils se cotisèrent pour l’équiper et lui acheter un cheval.
Puis on se mit rapidement en route pour Chinon, où Charles VII et sa cour résidait.
Mon dieu, mes amis, l’état des routes… Pire qu’après la tempête de 99 ! Comme je vous disais en première partie (Jeanne d’Arc, la rencontre), en ce début de 15ème siècle la France était ravagée par cette foutue guerre entre Armagnacs et Bourguignons, en plus d’être occupée en partie par les Anglais.
Bref, plus de route, plus de pont, et plein de lascars de soldats partout (avec des tronches, je ne vous raconte pas) le tout en plein mois de février (et sans le réchauffement climatique !).
Résultat : j’ai eu le trouillomètre à 0 tout du long, les lèvres et les mains violettes, la goutte au nez, le cheveu qui frise et les fesses bleues (non, pas à cause du froid mais des heures de canasson !). Cerise sur le héraut, il nous fallait bivouaquer dans les bois…
Moi et les gars de l’escorte n’en pouvions plus ; nous avons même pensé à faire demi-tour ! (je sais, c’est moche).
Quelques-uns finir par prendre Jeanne pour une sorcière. J’étais moi-même à deux doigts d’y croire car il y avait de quoi : Jeanne était d’une sérénité extraordinaire, en plus d’une endurance et d’une dextérité à cheval hors pair, elle qui n’avait jamais chevauché de sa vie (alors que moi, la première fois que je suis montée à cheval…je suis vite redescendue… contre mon gré !).
Elle ne se plaignait jamais, ne quittait pas sa lourde armure, dormait peu, mangeait à peine et s’arrêtait entendre la messe dans chaque village que nous traversions, le tout sans goutte au nez et cheveux qui frisent (c’est surtout ça qui m’a mis la puce à l’oreille !)
Quand je l’interrogeais, elle me répondait avec sa douceur coutumière : « Ne craignez rien Madame, Dieu fait ma route, c’est pour cela que je suis née ».
Nous arrivâmes finalement à Chinon. J’étais fort aise de voir enfin ce sacré dauphin (à défaut d’être un Dauphin sacré) et surtout de trouver un bon feu de cheminée !
Seulement voilà, tout ne fut pas aussi simple.
Nous trouvâmes une cour divisée, chacun occupé de ses petits intérêts, et, au gré de ces derniers, prenant parti pour ou contre Jeanne.
Je compris alors pourquoi la France avait sombré dans une telle situation : un homme de pouvoir faible, le dauphin (doutant presque de sa légitimité), autour duquel gravitaient de « petits » hommes méprisables, avides de richesse et de pouvoir, et à qui on laissait beaucoup trop de liberté .
Entre nous, je suis allée brûler un cierge afin de remercier Dieu de m’avoir fait naître au 21ème siècle. Parce que, à gouvernement égal, nous tombons certes dans une crise financière, mais pas aux mains des Rosbifs ; et si nous comptons nos pauvres, nous ne comptons pas des morts…
Puis j’ai brûlé un second cierge, pour qu’Il nous envoie une Jeanne d’Arc, car nous en aurions bien besoin quand même…
Prions mes amis, prions.
Enfin voilà, il nous fallu patienter de longs jours, puis finalement Jeanne fut reçue.
Nous étions un 25 Février (1429), il caillait comme jamais et Charles VII avait fait préparer un grand banquet ce soir-là.
A notre arrivée, point de dauphin !
Je pris le main de Jeanne d’un mouvement brusque: « tirons-nous ! c’est un traquenard !
– Que nenni, il est caché parmi ses 300 chevaliers présents, il veut m’observer à loisir… »
Je précise que Jeanne n’avait jamais vu le dauphin auparavant.
Pourtant elle se dirigea droit sur lui :
« Gentil Dauphin, j’ai nom Jeanne la Pucelle, le Roi des cieux vous mande par moi que vous serez sacré et couronné en la ville de Reims et vous serez lieutenant du Roi des cieux qui est roi de France. ».
A ce moment-là, elle était resplendissante, au zénith de sa 18ème année, d’une beauté et d’une fraîcheur incomparable. Je me ravissais du spectacle quand tout à coup un événement fâcheux se produisit. Un goujat de soldat lança tout haut :
« Nom de Dieu, je me farcirais bien la donzelle par ses petites pattes arrières ! ».
Je me levais d’un bond pour lui coller une baffe, quand Jeanne me devança en ces termes : « Hélas ! Tu le renies alors que tu es si près de ta mort… ».
Et bien, vous me croyez, vous me croyez pas : il tomba à la flotte dans la soirée même et s’y noya !
Je crois bien que c’est ce qui finit par convaincre notre jeune dauphin de suivre Jeanne. Mais croyez-vous que l’affaire fut réglée pour autant et qu’ils partirent mettre une rouste aux Anglais ? Rien, nada, que dal !
Foutu gouvernement de pleutres et foutu Moyen Age !
Il fallut que Jeanne se rende jusqu’à Poitiers, dans la grande université de théologie afin que les « experts » déterminent si elle n’était pas sous l’emprise du diable.
Finalement, 10 000 questions, 100 bisous sur la croix et un examen gynéco plus tard, les doctes commençaient enfin à croire en sa mission divine.
Mais Jeanne, plus Sainte que sotte, à bout de patience, finit par leur lancer :
« Ecoutez, il y a plus au livre de Dieu que dans les vôtres… Je ne sais ni A ni B mais je viens de la part de Dieu pour faire lever le siège d’Orléans et sacrer le dauphin à Reims… mais avant je dois écrire aux Anglais pour les sommer de partir. Dieu le veut ainsi. Avez-vous du papier et de l’encre ? Ecrivez, je vais vous dicter.»
Et voilà comment une jeune pucelle mis fin aux élucubrations de tous ces prélats vaniteux et déclencha du même coup les hostilités avec les Anglais.
Le temps n’était plus à la bondieuserie, mais à l’action.
Quand je revis Jeanne, je demeurais clouée sur place : elle chevauchait un superbe étalon noir. Elle se tenait avec panache dans une armure blanche étincelante. Elle arborait dans une main la lourde épée de Sainte Catherine et brandissait de l’autre un grand étendard blanc orné d’anges et de fleurs de lys.
Devant ma mine béate, elle me sourit :
« Je ne veux me servir de mon épée pour tuer personne et j’aime de toute façon 40 fois plus mon étendard, me dit-elle. »
Je la regardais pensive et mon cœur se serra.
Cette fois, c’est moi qui lui lança : « grande et belle âme, que Dieu te protège ».
Fin de la deuxième partie
J’ai dans l’idée d’arrêter ici notre voyage avec Jeanne d’Arc, car théoriquement vous connaissez la suite !
Mais, si toutefois vous teniez vraiment à ce que je reprenne du service auprès de Jeanne, alors dites-le moi (dans vos commentaires) et nous repartirions… Direction : le découpage de rosbifs et… la rôtissoire.
Notes
Tous les dialogues de Jeanne d’Arc sont retranscrits le plus fidèlement possible sur la base des déclarations qu’elle fit lors de son procès qui dura de 21 février au 23 mai 1431.
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Je l’avoue, j’ai été, peut-être comme certains d’entre vous (ça me rassurerait) une vilaine hérétique médisante. Je tenais Jeanne la pucelle pour une petite prude, …
Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui nous allons parler de « bondieuseries ». Dites-donc, c’est quoi cette mine dépitée ? Vous devriez plutôt prendre un air …
Oui oui oui! La suiiiite!!!
La suite ! La suite !
Oui la suite ! Je vote pour !
oui pour un nouveau départ!
Ouiiii la suite…
Ce n’est pas parce que l’on connait la fin que nous ne voulons pas lire l’histoire :D. C’est comme pour le film Titanic, Lol, ça n’a pas empêcher d’avoir de nombreuses entrées
Votre plume est superbe et drôle. Merci pour ces parenthèses hors du temps
La suite, pour une fois que l’histoire est captivante.
C’est si joliment narrée, tu nous tiens en haleine…
C’est vraiment bien raconté, ça nous met plein de belles images dans la tête, on veut la suite ! 😀
L’histoire que l’on apprend à l’école est tellement ennuyante … et celle de la majorité des livres sur les sujets historiques pas mieux, c’est super d’apprendre ou de réapprendre l’Histoire avec vous ! Merci !
Je vote également pour lire la suite.