Obsession, fantasme, terreur, folie… Plongeons-nous dans une inquiétante mais délicieuse obscurité, celle du romantisme noir. Ne cherchez pas à y voir clair mes amis, ne cherchez pas de logique car là où je vous emmène tout n’est que sensations, émotions, réflexes…
Le lugubre y côtoie la perversité, Satan fait l’amour aux vierges et Sade en éclate de rire.
Je vous entraîne dans une vraie danse de Sabbat sur fond de bouleversements politiques où les sorcières s’appellent Baudelaire, Géricault ou Goya, et où la mort, présidente, trinque à votre bonne santé.
Allez hop, c’est parti, entrez dans la danse !
Il fait sombre, très sombre, et pour cause, nous sommes plongés dans notre inconscient ; on y voit presque rien et pourtant…
« Regardez-là ! Il se passe des choses bizarres : est-ce bien une jeune femme endormie qui serait sur le point de se faire violer par un incube (démon hirsute et velu) ? Mon dieu !
On y voit enfin un peu mieux : Quoi ? Mais… elle n’est pas endormie du tout, elle est dans une extase érotique ! Si, si, regardez donc ce cheval, les yeux exorbités, qui surgit de son rideau rouge : il symbolise le désir passionnel et le sexe masculin ; quant au rideau rouge, c’est celui de la femme.
Oulala ! Je crois que je viens de comprendre : c’est le fantasme du viol ! Non mais… quelle horreur ! »
Et tandis que la raison crie au scandale, braille d’indignation, une petite voix (serait-ce la nôtre ?), nous chuchote : « quelle délicieuse horreur, n’est-ce pas ? ».
Avec son « Cauchemar », le peintre Füssli fait figure de proue du Romantisme Noir, car c’est une peinture s’adressant non plus à la raison mais à l’inconscient !
Le hic, c’est qu’on est en Angleterre, en 1781, et que Freud n’a pas encore publié ses bouquins (le premier ne sortira qu’en 1893), donc pour le moment c’est : « l’inconscient ? Connais pas ! ».
Le pauvre spectateur ne donc peut pas comprendre pourquoi il ressent un tel émoi en regardant ces œuvres, lui qui jusqu’à présent avait l’habitude de contempler de jolies scènes religieuses ou de beaux portraits. Bonjour le choc !
Vous imaginez ? En pleine journée, dans un lieu hautement intellectuel rempli d’œuvres d’art, au milieu d’une foule de bourgeois bien-pensants, il se met à avoir de vilaines pensées libidineuses (vous savez, la petite voix…). D’un coup il rougit, le pauvre diable, il se sent honteusement coupable !
Et que fait-on dans ces cas-là ? On planque ses émotions et on se donne bonne contenance : on s’agite, on s’indigne, voire même on s’évanouit pour les plus show-off (beaucoup de jeunes filles s’évanouissaient devant cette peinture).
Même dans les journaux on déconseille vivement aux personnes sensibles de venir voir cette ignoble peinture.
Il est intéressant de préciser qu’à l’époque, on pense que si une femme enceinte rêve d’un démon, elle peut engendrer un enfant malformé. La chose est grave, donc …
Le petit Füssli ne se fait pas que des copains : c’est toute une société qui se déchaîne contre lui, l’accusant de manger du porc avarié (c’est quoi le rapport ?) et de picoler des breuvages hallucinogènes et démoniaques (ils n’ont peut-être pas tort sur ce dernier point).
Il faut dire que pour un prédicateur de son état, il y a va fort, l’apôtre. Pour la petite histoire, Füssli est un suisse qui a dû s’exiler en Angleterre suite à un pamphlet qui a fait scandale à Zurich. Monsieur n’en est donc pas à son premier coup d’essai, Monsieur aime choquer !
Il semblerait que peindre ce genre de sujets le fait beaucoup plus kiffer que lire la bible…
Et voilà peut-être un des grands bouleversements de cette période : la bible ennuie, la bible lasse, la bible agace, il n’y a qu’à écouter Sade : « Envoyons la courtisane de Galilée se reposer de la peine qu’elle eut de nous faire croire, pendant dix-huit siècles, qu’une femme peut enfanter sans cesser d’être vierge ». (Lire It’s Sade, so sad – 1ère)
Que ce soit en Angleterre vers 1770, où le mouvement du romantisme a commencé, ou bien en France, en cette période tout juste post-révolutionnaire, la religion perd du terrain. Comme Dieu se fait de plus en plus lointain, les démons pointent leur vilain nez et viennent peupler l’imaginaire. C’est pourquoi Marie Du Deffand, à la question de son ami Horace Walpole :
« Croyez-vous au fantôme ? »
Répond:
« Non, mais j’en ai peur… »
Quant à Horace, inutile de lui poser la question, il prétend qu’il a écrit en quelques semaines son roman le château d’Otrante, (premier roman gothique) sous la dictée automatique d’un fantôme (veinard ! Pourquoi ça ne m’arrive jamais, à moi ?). A en croire le livre, le fantôme a eu le bon goût de s’inspirer des châteaux gothiques et des légendes moyenâgeuses.
En effet, à cette époque, si la bible prend la poussière, les grimoires du Moyen Age, eux, se dépoussièrent : c’est la fête des sorcières, des fantômes et autres châteaux forts… Puis comme on est en quête de sensations fortes et de paradis déchus, on y ajoute une pincée de terreur gourmande : le seigneur du château fort se transforme en vampire, le moine chevalier en Satan lubrique… Bref, que du bonheur ! (Avouez ! ça n’a pas tellement changé depuis, non ?)
Si les artistes croient aux fantômes pour notre plus grand plaisir, c’est beaucoup moins plaisant lorsqu’il s’agit d’un peuple tout entier.
Et ça, Goya, ça le gonfle !
Ce peintre de cour et de bonne morale, déchante sévère lorsqu’éclate la révolution. Il est halluciné, ô combien on le comprend, par cette nouvelle société portée par des révolutionnaires. En effet, ces révolutionnaires qui prônent de belles valeurs, ne sèment finalement que destruction et désolation.
Mais plutôt que d’en pleurer, il a pris le parti d’en rire et de mener sa propre révolution : au lieu de baïonnettes et d’hommes forts, ce sera pinceaux et eau-forte (de l’acide nitrique dilué dans de l’eau) ; et à défaut de couper les têtes en série, il taille des shorts dans ses séries.
Tout le monde en prend pour son grade : la bêtise populaire, avec ses croyances représentées par « le vol des sorcières » ; les monstres et autres fantômes dans « ils se pomponnent » où ces derniers se font une petite séance de manucure ; les aristo (représentés sous les traits de malades mentaux) bâillonnés par des révolutionnaires, et qui avalent sans broncher leurs inepties dans « Les Chinchillas » (les révolutionnaires ? C’est l’ âne, qui symbolise la bêtise) ; et le meilleur pour la fin : la guerre, où il n’est point besoin d’explication, le titre se suffisant à lui-même : « Grand exploit ! Avec des morts ! ».
Comme vous le voyez, on est au sortir de la révolution et ça en a secoué plus d’un. C’est ce qui prédispose les artistes à ce courant du Romantisme Noir. Il faut dire qu’il y a de quoi, déjà qu’en 2013 on ne s’est toujours pas bien remis d’avoir coupé la tête d’un roi, quant à celle de Marie-Antoinette, je n’en parle même pas, alors juste après le drame, vous imaginez ? Il y avait même des grandes boucheries portant le doux nom de Place de Grève ou Place de la Révolution qui fleurissaient (mais je ne vous les conseille pas, même si c’est du 100% origine France…).
Bref, que du macabre qui a marqué fortement les esprits et suscité bien des questionnements. Sade, échappant de peu à la guillotine des révolutionnaires, en conclut que « la cruauté est le premier sentiment qu’imprime en nous la nature ».
Alors, grâce aux romantiques noirs, trêve d’hypocrisie et montrons enfin la vraie nature de l’homme !
Fin de la première partie
Prochainement dans la deuxième partie : Satan et Cannibalisme
Notation et Infos pratiques
Note : 8/10
Le plus : Très belles œuvres et bonnes explications. Expo bien scénarisée, comme sait le faire le musée d’Orsay.
Le moins : c’est long ! L’expo regroupe 3 mouvements (romantisme noir, symbolisme et surréalisme). Que du très intéressant (même si le surréalisme me parle moins) mais dur de rester concentré jusqu’à la fin !
Exposition :
Date : 5 mars – 9 juin 2013
Adresse : Musée d’Orsay – 5 Quai Anatole France, 75007 Paris
Horaire : Ouverture de 9h30 à 18h. Nocturne le jeudi : 21h45. Fermé le lundi
Tarif : Plein tarif 12€, tarif réduit 9,50€
Tel : 01 40 49 48 14
Site web : http://www.musee-orsay.fr
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