Un voleur qui se balade dans les rues de paris au 18ème siècle ? Rien d’exceptionnel vous me direz…Mais quand ce voleur rencontre le grand Grenouille, la star du « Parfum » et qu’il se retrouve dans les salons philosophiques, là ça devient carrément flippant…
Mais pas de panique, pour vous remettre de vos émotions, un bon Dîner chez Richelieu vous attends !
J’ai dit bon, pas ennuyeux… Car quand le Cardinal pique une colère, ça met l’ambiance et même les siècles s’en souviennent !
Voici, mes amis, les deux autres textes gagnants qui font suite à Astérix à la BNF !
Quand la plume est prise par les lecteurs d’Histoire Très Personnelle, ça donne ça :
Allez, hop, c’est parti, suivez-les !
Je suis un voleur (par Cédric)
Comme tout le monde j’ai commencé par voler quelques sous dans la bourse de ma mère, puis des cigares dans le bureau de mon père. J’ai volé des pommes sur le marché, pas pour les manger, je n’aime pas les pommes, mais pour le simple plaisir de les posséder. Plus tard, je vidais les poches des gentilshommes et les paniers des ménagères. Et doucement, d’un vol à l’autre, l’adolescence me surprit. Alors je volais les dessous des lavandières.
Très vite je pris plaisir à ces tissus aux odeurs enivrantes et les femmes commencèrent à m’attirer … et à me rejeter.
Je suis un voleur laid.
Dès lors j’ai commencé à voler des bijoux, de la dentelle et de la soie pour les séduire. Elles acceptaient toutes mes présents mais jamais mon amour.
Un jour, au hasard d’une ruelle sombre où je suivais une jeune femme des plus exquises, je rencontrais un homme étrange, un certain Jean-Baptiste Grenouille. Lui aussi suivait cette même jeune femme. Nous avons donc sympathisé. Je finis pas assommer la damoiselle pour lui dérober ses dentelles finement ouvragées afin de les offrir à une charmante voisine que je convoitais depuis peu. C’est alors que ce Grenouille me confia que lui aussi était un voleur… mais un voleur d’odeurs ! Et tout en étouffant la jeune femme de ses mains puissantes, il m’expliqua comment procéder pour capturer cette chose si volatile et délicate qu’est leur essence. J’étais subjugué.
« Tout peut donc se voler ! » me dis-je ébahi.
Après cette rencontre j’ai erré longtemps dans les rues parisiennes, sentant une idée neuve germer au plus profond de mon esprit. Voler des bijoux ou de belles étoffes ne me permettrait jamais de conquérir le cœur des femmes, pour les posséder je devais leur offrir plus, beaucoup plus que de la simple verroterie et quelques bouts de tissus.
Alors j’ai commencé à voler des mots !
Le Paris des Lumières abritait alors les plus grands penseurs, tous attirés par la protection qu’offrait Madame de Pompadour, en ce siècle où le clergé faisait force de loi et où les idées novatrices étaient bien souvent considérées comme hérétiques. C’est donc au petit Trianon que je commettais la plupart de mes larcins. Depuis 1737, l’Etat condamnait la Franc-Maçonnerie pour son libéralisme et son amour de la démocratie et l’Eglise menaçait d’excommunication quiconque voulait rejoindre cet ordre prônant la liberté de conscience.
Tous ces libres penseurs d’avant-garde se réunissaient donc discrètement dans les salons de la favorite du roi, Madame Poisson (délicieux pied de nez lorsque l’on sait que le poisson est l’un des symboles les plus anciens du christianisme).
Ici, Monsieur Montesquieu venait pérorer ces théories naissantes sur la liberté, le droit, le libéralisme, le bonheur … c’est à lui que je volais mes premiers mots : « Il faudrait convaincre les hommes du bonheur qu’ils ignorent, lors même qu’ils en jouissent ». Là, Monsieur Rousseau criait son aversion des mensonges et des faux-semblants. Je lui volais cette phrase : « L’espèce de bonheur qu’il me faut n’est pas tant de faire ce que je veux, que de ne pas faire ce que je ne veux pas.». Ou bien encore Monsieur Voltaire qui discourait sur la tolérance et la liberté de penser et à qui je dérobais «L’intérêt que j’ai à croire une chose n’est pas une preuve de l’existence de cette chose».
Ainsi je me retrouvais vite l’heureux propriétaire d’un nombre conséquent de belles phrases, n’attendant que le moment opportun pour venir délicatement se poser à l’oreille d’une femme admirative de tant de sagesse. Femme que j’avais d’ailleurs déjà élue en mon sein !
Madame du Deffand tenait l’un des salons les plus populaires de Paris, depuis longtemps je vouais pour elle un amour inavoué et grandissant. Proche de tous ces philosophes que j’enviais, elle était dotée d’une grande culture et il me faudrait lui servir une phrase des plus majestueuses si je voulais gagner ce cœur tant convoité.
Un jour, tard, après une soirée à laquelle j’avais réussi à me rendre en ayant dérobé l’invitation de quelque étourdi, je me retrouvais seul avec elle. Le cadre était idéal, le feu éclairait chaleureusement la pièce, le vin l’avait rendu d’humeur joyeuse et je me risquais à lui glisser ces deux phrases que j’affectionnais tant : «L’instant où nous naissons est un pas vers la mort. Alors aimez qui vous aime». Sa réaction fut pour le moins inattendue : elle devint blême, puis verte, puis rouge, et je la sentais fulminer tandis qu’elle quittait la pièce d’un pas décidé.
Lorsqu’elle revint, la fureur bouillait dans ses yeux et elle me jeta au visage un petit morceau de papier. Fébrile je le dépliais. Il s’agissait d’une lettre de monsieur Voltaire, dont j’ignorais jusqu’alors qu’il était l’un de ses intimes. Je parcourus rapidement le billet des yeux et, abasourdi, tombais sur ces deux phrases que je venais de lui citer…
« Dehors, imposteur !» furent les seuls mots qui réussirent à s’échapper de ses lèvres pincées par la colère … et la pitié que je lui inspirais.
« Personne n’a le droit de m’humilier de la sorte !» M’exclamais.
Plus tard, tapis dans la nuit, j’attendis qu’elle sorte. Lorsqu’elle se dirigea vers les quais de Seine, je la suivis discrètement, me faufilant d’une ombre à une autre, toujours plus près.
Son cri attira dehors la population avinée de la rue portuaire à peine assoupie. Lorsqu’ils me virent ainsi, les bras couverts de sang, une poignée de cheveux s’envolant gracieusement de mes doigts pour aller se mêler aux brumes paresseuses de cette froide nuit de novembre, je ne dus mon salut qu’à l’arrivée des forces de l’ordre.
Salut..Quel étrange mot ! Comme il sonne faux dans cette cellule sombre et humide où le seul son audible est celui de la pierre que le bourreau passe inlassablement sur le fil de la guillotine !
«Il y a autant de vices qui viennent de ce qu’on ne s’estime pas assez que de ce qu’on s’estime trop ».
Un Dîner chez son éminence (Par Adrien de Febvin)
Un beau jour de janvier de l’an de grâce 1610, alors que je contemplais la merveilleuse gorge de ma bonne amie , un courrier arriva. Je fis sonner mon valet afin qu’il fasse attendre le messager dans le petit salon pourpre car ce dernier avait pour consigne de rendre son message en main propre. Voyant le sceau que celui-ci portait je me doutais du destinataire : notre merveilleux Richelieu ! Il nous fait l’honneur de sa table au palais cardinal.
« Fichtre » me dis-je, « il va me falloir investir en une nouvelle fraise de une bonne dentelle de Calais. » C’est ce que je fis et armé de ma fidèle épée, décoré de mes plus glorieux rubans et accompagné par ma charmante et très plantureuse épouse, nous prîmes la voiture pour nous rendre en la demeure de notre premier ministre-cardinal. L’accueil fût très glacial, les arcades du palais sont un véritable courant d’air mais ce supplice ne dura que le moment de descendre de la voiture et d’atteindre le premier vestibule du palais.
Guidés par le laquais, nous montâmes ces larges escaliers de marbres. Au passage nous jetâmes un rapide coup d’œil aux décors qui donnaient à cet espace tout son prestige. En haut de l’escalier d’honneur, le laquais ouvrit la grande porte de chêne et nous vîmes notre cardinal, plus rouge que jamais discutant avec le comte de la Marquay.
Nous le saluâmes avec tous les égards dû à son rang, à son prestige, à sa position, à sa richesse….et il me demanda des nouvelles de mon charmant comté, je lui répondis par une banalité. Mon esprit était occupé ailleurs, et tandis que je saluais d’un signe de tête un autre invité, je fouillais la salle du regard. Je constatais alors avec désespoir que la comtesse de la Marquay n’était point présente ni ses douces lèvres qui me tourmentaient depuis cette nuit à Saint-Germain….
Enfin, je me consolais , le déjeuner était digne du cardinal : dans ce salon aux boiseries dorés où je pus admirer de véritables chefs d’œuvres et un beau portrait de notre Roi Louis le treizième, il nous fus servis un repas à la fois simple mais très solennel (la pourpre cardinalice oblige). en entrée, de curieux légumes firent leur apparitions, légumes que le cardinal faisait venir d’Indes appelés aubergines. Ces dites aubergines étaient farcis, le goût de ce légume est surprenant bien qu’un peu fade au premier abord mais la farce nous attrape et nous fais entrer dans une douce et infinie volupté. Suivirent les volatiles : cailles, poules, poulets, pigeons, faisans…après les volatiles les grands classiques : moutons, veaux, bœufs, lards…vous l’aurez compris, ce fus très copieux. Les conversations allaient bon train, et celle avec le cardinal était des plus intéressante. ON ne pouvait pas en dire autant de ce comte de la Marquay… ce personnage manquant horriblement de prestige, de lettres et de manières…Surtout de manières ! Il a cette fâcheuse habitude de se curer les dents avec le bout pointu des couteaux.
Ce détails d’une vulgarité notoire n’échappa pas au cardinal. A peine avait-il observé le malappris, que je le vit devenir encore plus pourpre que son cape. Visiblement fort courroucé, il se leva et d’un geste notifia son congé à Marquay. Puis, non content de voir partir le fauteur, il sonna son valet :
« Faites limer la pointes des couteaux de tous nos services !». lança-t-il d’un voix sévère.
C’est ainsi que j’appris le 13 mai 1610 que je devais faire de même avec les miens ; un édit portant cette nouvelle consigne.
Et c’est ainsi, encore, que je pus briller en société en racontant cette charmante histoire, glorieuse pour le cardinal et piteuse pour ce pauvre la Marquay !
Notes
Texte « Je suis un voleur » : Ce texte est une fiction sur base historique. De ce fait, J-B Grenouille est un personnage de fiction issu du roman » Le Parfum » de Patrick Süskind.
Quant’à Madame du Deffand, elle a réellement existé mais sa mort n’est pas celle décrite ici. Elle est morte de sa belle mort à l’âge de 83 ans.
Elle est effectivement tombée amoureuse d’un voleur de mots du nom de Horace Walpole (le lanceur du romantisme noir), à plus de 70 ans !
Chers amis, tout d’abord je tire mon chapeau dans une révérence bien basse et bien méritée à tous ceux qui ont eu l’audace, le courage …
Une fois de plus deux textes excellents. Merci pour ces récits.
Quel joli texte !!!! un vrai plaisir … et frissons
Excellent texte ….MERCI ….un vrai plaisir à lire !
J’aurai voulu trouver autre chose de plus … Comment dire … Intemporel ? Formidable ? Mais je ne trouve rien de plus que j’adore !!! Saperlipopette !!! C’est fichtrement bien, mieux je kiffe …