Il y a toujours eu des forbans, des bandits, des gangsters, des enfoirés…. Bref, si les adjectifs ont évolués, les forfaits sont toujours les mêmes, entre braquages, cambriolages, voire même assassinats… (en rajoutant les nouveautés made in 21ème, ça donne : brûlages de bagnoles, bastonnades de flics…).
Rien de bien noble dans tout ça… et pourtant : il fut un temps où le respect de certaines valeurs, la tradition d’un langage châtié, l’attachement à un code moral étaient tels, que l’on arrivait à rencontrer des racailles avec panache, des bad boys dont les crimes n’avaient d’égal que leur superbe.
Puissent les petits bandits insignifiants de bassesse du 21ème siècle trouver inspirant l’exemple magistral que je vais conter ; puissent-ils jeter sur leurs misérables forfaits un voile de grandeur…
Pour cela rien de tel que l’exemple de Cartouche.
Allez, hop, c’est parti, suivez-moi !
Si pour vous « Cartouche » est un truc que l’on met dans un fusil, il est grand temps que ça change !
Car si Cartouche met bien le feu aux poudres, c’est par l’ampleur de ses méfaits, qui n’a eu d’équivalence que celle de sa condamnation. Dans un cas comme dans l’autre, il a fait montre d’une superbe légendaire, qui détonne encore au travers les siècles.
Une chose est sûre quand Cartouche est là : ça fait boum !
Démonstration :
1 / Cartouche est beau
Cartouche est bien un gros caïd mais pas du tout du genre boule à zéro, dents en or ou cheveux gominés en mode « j’dynamite, j’disperse, j’ventile », non !
Déjà, il s’appelle Louis ; ensuite, il en a le physique (même s’il ressemble plus à un Julien Sorel qu’à un Louis la Brocante !) ; c’ est un homme romanesque, certes petit, mais d’une beauté troublante. Son teint pâle fait ressortir de grands yeux noirs, au fond desquels danse une lueur d’ironie. De longues boucles brunes encadrent son visage aux traits d’une finesse presque féminine.
Ok, là un aparté s’impose : n’allez pas mater les vilaines gravures de l’époque et encore moins la reproduction de cire faite juste après sa mort où il a perdu une bonne partie de ses cheveux et pris 20 ans dans les dents (la torture, un rouage vif et la mort, ça donne mauvaise mine, même à 28 ans – âge de sa condamnation). Croyez plutôt les témoignages de l’époque et le nombre de femmes qui ont atterri dans son plumard…
Car Cartouche, il sait en mettre !
2/ Cartouche est intelligent
En plus d’être sexy, notre beau brigand a la dangerosité de l’intelligence. Il n’est pas du genre « Ouaich gros, on fonce dans le tas et après on verra » (sinon même à l’époque on ne s’en serait pas souvenu); mais plutôt du genre : « faisons travailler nos petites cellules grises », mais non, ce n’est pas un truc d’Hercule Poirot ! Cartouche utilise plutôt des trucs de bidas : après un passage éclair dans l’armée, il recycle les méthodes martiales à son profit (il apprend vite le bellâtre !).
Il commence donc par s’entourer de soldats, puis développe son réseau suivant une hiérarchie pyramidale stricte. En vrai boss du Cac 40, il gère un effectif de pas moins de 2000 employés dans toute la France, où il est de bon ton d’être au garde à vous…
Car là aussi, Cartouche sait en mettre, mais entre les deux yeux !
3/ Cartouche est grand
C’est de sa grandeur d’âme dont je parle évidemment, et non de ses 1m50.
C’est un killer avec de vraies valeurs, que nous autres, pauvres âmes du 21ème siècle, nous ne côtoyons plus que
dans les blockbusters…
Cartouche ne s’attaque qu’aux riches, aux très riches !
A l’époque point d’ISF et autres impôts pour faire le boulot, alors Cartouche se dévoue, en évitant l’hémoglobine tant que faire se peut, car bien trop salissante en tout point de vue.
Deux mots sur le contexte.
Nous sommes au début du 18ème siècle, sous le règne de Louis XV. Comme ce dernier n’a pas encore de poil au menton, c’est le tonton, Philippe d’Orléans qui prend les affaires en main (même s’il prend plus souvent en main les fesses des dames que les affaires du royaume…)
A cette époque la France est à sec, notre grand Louis XIV ayant pris le grand soin de claquer tout le pognon de l’état avant de se décider à mourir.
C’est à ce moment qu’un financier foireux, John Law, débarque avec un système foireux, normal…
Il crée une banque générale qui propose d’émettre du papier-monnaie contre de l’or, sauf qu’en gourmand banquier, il émit plus de billets qu’il n’avait réellement d’argent, et finit logiquement par se casser la gueule, normal…
Mais en attendant, cela permit aux riches de devenir encore plus riches en faisant… rien, normal…
Il était temps que ça cesse, normal !
Cartouche et sa dream-team vont s’en charger. Ces percepteurs volontaires s’en vont inlassablement « visiter » hôtels particuliers et autres carrosses. Une partie de ces « redressements fiscaux » est distribuée aux pauvres. Cartouche acquiert rapidement une sacrée notoriété et il est vite sacré roi des bandits !
Sacré Cartouche : le roi de la tire !
4/ Cartouche a la classe
Un jour qu’il s’introduit chez une duchesse, il trouve cette dernière seule, en train de dîner. Trop poli pour venir gâter ce moment de plaisir et trop courtois pour violenter une femme, il lui demande simplement s’il peut prendre part au repas. Il commande des mets fins, arrosés de champagne (un homme de goût, donc) et se montre un hôte charmant.
Son repas fini, il complimente son hôtesse puis s’en va, en toute simplicité.
Quelques jours plus tard, au grand étonnement de la duchesse, cette dernière reçoit toute une caisse d’un champagne très haut de gamme, accompagné d’un mot : « Madame, je vous remercie pour cet excellent souper que j’ai eu l’honneur de partager avec vous, je regrette simplement que le vin de champagne ne fut pas comme celui-ci. »
Trop la classe, non ? Attendez, j’en ai encore une autre :
Un soir, Cartouche s’introduit chez la marquise de Bauffremont par la cheminée.
Ce séduisant Père Noël, venu pour prendre quelques cadeaux (et non point en laisser), se fait prendre en flagrant délit alors qu’il vient juste d’atterrir dans l’âtre.
Comprenant sa fâcheuse position et le grotesque de la situation, il prend le parti de sa défaite avec panache.
Loin d’agresser la marquise dans un soubresaut de vanité douteuse, il se relève, époussette son habit, puis se fend d’un beau sourire et d’une révérence :
« Veuillez excuser, Madame, ces manières pour le moins cavalières. Je suis confus d’avoir provoqué votre émoi, et je vous libérerai prestement de ma présence si vous aviez l’amabilité de m’indiquer la sortie. ».
Il sort de la cheminé, prend soin de remettre cendres et braises en place, veille à ne pas gâter les tapis, puis prend congé.
Le lendemain, la marquise se verra remettre une enveloppe. A l’intérieur, un lasser passer à présenter à d’éventuels futurs cambrioleurs afin que ces derniers passent leur chemin, et au fond de celle-ci : un diamant ! Mais pas de la pacotille acheté chez le chinois du coin, ce serait mal connaitre notre homme : ce n’est rien de moins qu’un diamant estimé à 2000 écus ! (désolée mais je n’ai pas réussi à faire le calcul, si quelqu’un veut bien s’y coller, je suis preneuse !)
Une chose est sûre, notre chanceuse marquise a bien rencontré le Père Noël ce jour là…
Cartouche : un tireur d’élite !
5/ Cartouche est pris
Comme toute belle histoire (réelle) de héros, elle doit se finir mal… Cartouche est trahi et arrêté.
Il est conduit à la Conciergerie, et tout VIP qu’il est, il n’a droit à un quartier spécial ; on ne lui en fait même aucun, le mot d’ordre : pas de quartier ! Pourtant tous les quartiers de Paris sont là, eux, chacun se pressant devant les barreaux du beau prisonnier dans l’espoir de l’apercevoir (dont la marquise de Bauffremont et même le régent dit-on !). Le pauvre homme n’en est pas moins soumis à la question extraordinaire, soit la torture des brodequins (qui consiste à écrabouiller les jambes, voir pulvériser les os). La douleur est elle aussi extraordinaire, mais pas autant que sa grandeur d’âme : il ne cafte pas un nom de ses complices !
Pas plus qu’il ne craque quand on lui annonce sa sentence : roué vif.
Petit aparté : il est important de comprendre la sentence. Etre roué vif consiste à être attaché sur une croix en forme de X (appelée croix de Saint-André) et recevoir des coups de barre-à-mine sur chaque membre jusqu’à ce que ces derniers soient brisés menus.
Une fois l’homme désarticulé, il est attaché sur une roue montée sur essieu et tourne ainsi dans le vide jusqu’à ce que mort s’en suive…
Mais Cartouche garde confiance, ses hommes vont venir le délivrer, ce n’est pas la première fois qu’il se sauve.
Pourtant, rien ne se passe. Le jour fatidique arrive, il monte très péniblement sur l’échafaud (ses jambes étant en miettes à cause de la torture des brodequins).
Il voit alors toute la scène : ses complices sont là, en grand nombre, et ils le regardent sans bouger. D’un seul coup il comprend : il a été trahi ! Une rage indicible l’envahi, il maudit tant de lâcheté et de petitesse.
Brusquement, il demande à parler à ses juges.
Pendant 18 heures il donne des noms et ce sont plus de 70 complices qui sont amenés devant lui afin d’être reconnus. Il s’offre ce dernier moment bien mérité, celui de les mépriser de toute sa hauteur et de lire la peur dans leurs yeux.
Enfin, il s’octroie cet ultime bonheur : il cite le nom de sa maîtresse, qui fut aussi sa complice.
Comme les autres, elle est amenée devant lui. En silence et pendant de longues minutes, il l’enveloppe de son regard noir et pénétrant, puis d’une voix chargée d’émotion :
« Je n’ai rien à dire contre elle, c’était pour la voir une dernière fois et lui dire Adieu »
Cartouche n’est plus, c’est à mon tour de tirer… une larme et une révérence.
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superbement raconté , merci ! je préfère néanmoins Mandrin , autre personnage haut en couleur du XVIIIeme siècle !! ah si un « détail » le régent aurait été fort surpris de se voir accoutré de la sorte avec des favoris lui mangeant les joues , et pour cause cet Orléans là , sur le tableau est Louis Philippe roi des Français de 1830 à 1848 , j’y vois plus un trait d’humour qu’une erreur !!
Ignominia Erratum : J’apprécie l’élégance de votre formule, Patrick, qui laisse planer le doute, mais non ! J’assumerai publiquement cette lamentable erreur le rouge aux joues et la honte dans l’âme (même si j’avoue, j’ai beaucoup ri à la lecture de votre commentaire !). Je garde en mémoire ce forfait afin de sortir un bêtisier de fin d’année ; ça promet d’être drôle !
Verve toujours aussi superbe! intéret historique constant, continuer ,Mademoiselle,
on en redemande!
Bonjour,
Quelle prose, j’ai adoré cette approche, non sans humour, de ce personnage haut en couleur.
Une approche qui à mon avis lui sied à merveille.
Une autre petite anecdote qui montre bien le style du personnage :
Un jour il vola une épée au Régent, mais se rendant compte que celle-ci était factice, il la le lui rendit non sans lui faire remarquer : « Au premier voleur du royaume, qui a tenté de faire tort à Cartouche, son confrère. »
Si vous le permettez, je publierai cet article au Repaire des Malandrins (forum de reconstitution historique XVIIe & XVIIIe siècle – Roturiers, Artisans, Brigands, Contrebandiers, Mercenaires et autres malandrins. . .), en y mettant bien entendu votre site en lien.
Bien cordialement,
Barbakan
PS : Toutes mes salutations Patrick !
En réponse à Patrick Royer, pour moi Louis Mandrin manque d’envergure, de panache et de classe (si je puis dire), mais chacun sa vision.
En ce qui concerne la peinture de ce cher Régent Philippe duc d’Orléans, il semblerait bien que ce soit bel et bien lui d’après le tableau de Jean-Baptiste Santerre (1717). Pour Louis Philippe (ou Louis Philippe 1er) le roi de France, cf. le tableau de Franz Xavier Winterhalter (1839).
Pour le diamant de 2000 écus offert à la Marquise de Bauffremont j’aurais aimé avoir le même (moi jalouse? non jamais) ! à défaut je vais me renseigner de sa valeur actuelle je vous tiendrai au courant de l’avancée de mes recherches !
Je souligne au passage le travail toujours aussi remarquable et enjoué de notre hôtesse !
Faire le beau gosse c’est mendier de l’affection quelque part, ou encore pour un homme de 1m50 de compenser le déficit de taille par une grandeur de comportement, sorte de « complexe de Napoléon » : « terme est utilisé pour décrire les personnes qui sont poussées par un handicap perçu à surcompenser celui-ci dans d’autres aspects de leur vie » ou alors ce Cartouche avait les qualités qui font un homme, c’est-à-dire d’être juste malgré tout. Sinon, une remarque également, « ouaich » ça s’orthographie « wesh » :)))
Je découvre avec délice ce magazine à remonter le temps, je trouve que l’idée est divine et le style léger à souhait par ces temps lourds. Je repasserai souvent.
Bonjour Ariane,
Merci pour tes articles aussi éducatifs que divertissant! J’apprécie ta capacité à passer d’une prose à l’autre (à travers les siècles s’entend), ta faicheur, ton humour… tout quoi! Pour l’humour et l’assutance de la Nana du XXIème siècle tu me fais penser à un mélange entre Margot Motin et Andréa H Japp (pour ses intrigues avec les 5 nanas parisiennes en héroïnes hein pas pour ses dark trhiller)^^
Concernant les 2000 écus, ma curiosité (et mon intéret pour la valeur des choses – je suis acheteuse) m’ont poussé à faire une petite recherche pour estimer grosses mailles ce diamant.
Si l’on se réfère aux éléments reportés dans un article écrit par Jean Mounage « De la valeur des choses dans le temps », le diamant vaudrait à environ 75 500€. En effet, si l’on considère que sous Louix XV un écu vaut 3,68gr d’or fin et que le gramme d’or fin vaut 10,26€ en 2006 : 10,26*3,68* 2000 = 75 513,6€.
PS: J’attends ton prochain livre avec impatience – je suis fan de ton concept 😉 Très belle reconversion!!
Anaïs