Je me sentais d’humeur badine et le coeur léger ce jour là, alors je suis partie me promener au bois de Boulogne ; mais c’est d’humeur « badante » et le coeur lourd que je suis rentrée. Hélas, mes amis, ce jour-là je ne voyageais pas dans les siècles, j’étais bien en 2013, dans ce fameux bois, il y a quelques mois…
Mais depuis, la tristesse a fait place à l’indignation !
Et je braille haut et fort à qui veut l’entendre : Vive le bordel !
Vous voulez savoir pourquoi ?
Allez, hop, c’est parti, suivez-moi !

Paysage de neige, Renoir
C’était un après-midi grisâtre, le soleil avait été vaincu depuis quelque temps, les feuilles mortes jonchaient les chemins, et même les grands arbres baissaient leur bras décharnés.
Si la nature avait rendu les armes, moi je me baladais la fleur au fusil, le coeur en bandoulière et le sourire aux lèvres… J’avais la grosse patate d’une parisienne en mal de verdure qui d’un coup se retrouve dans le bois de Boulogne en plein hiver. Ben quoi ? Quand on vit toute l’année au milieu des immeubles, des bagnoles, et entouré de 3 millions de parisiens énervés, je peux vous dire que le jour où l’on se retrouve tout seul dans le bois de Boulogne on a l’impression d’être Indiana Jones à la recherche d’un trésor perdu !
Malheureusement, ce jour là, j’ai vite trouvé le trésor, non seulement il n’était pas perdu mais en plus, il n’était pas très beau à voir…
Si vous aussi vous connaissez le bois de Boulogne, vous avez dû le trouver… Il n’y qu’à suivre les traces qui y mènent, à savoir les quelques capotes qui viennent insolemment se coller sous vos godasses… Que vous les suiviez ou pas, vous allez de toute façon finir par découvrir le graal…

Prostituées au bois de Boulogne
Le voici tel qu’il m’est apparu : des hordes de frêles silhouettes faisant tristement échos aux arbres squelettiques sous lesquels elles s’abritaient. De pauvres – femmes (?) – tremblant de froid dans leurs cuissardes, leur pudeur à peine cachée par un morceau de Lycra…
Mais qu’on s’entende mes amis, ce n’est pas de voir des putes qui m’a choquée, c’est de voir des personnes exercer leur métier dans un no man’s land pareil, bravant la torture du froid quand ce n’est pas celle d’un pervers sexuel, et ce dans l’indifférence générale (voir dans le mécontentement, compréhensible, du bourgeois gentilhomme).
Comment la France en est-elle arrivée là, à essayer de planquer hypocritement ses prostituées dans un petit bois aux abords de Paris, quand, il n’y même pas un siècle, elle planquait à peine sa fierté de posséder Le Chabannais (célèbre maison close) ou une Madame Claude. Ah ! la belle époque où Paris était alors un haut lieu du libertinage assumé avec grandeur… et ce ne sont pas les peintres impressionnistes qui me diront le contraire !

Camille au Chabanais, Henri Oltramare, 1900
Alors pourquoi en 2013 s’empêtrer dans des relents nauséabonds de traditions judéo-chrétiennes qui veulent ériger le sexe en péché ? Et pourquoi s’empêtrer dans des lois aussi peu claires et des attitudes aussi contradictoires et gênées ?
Serait-ce nos dirigeants et autres garants de l’exemplarité qui n’assument plus d’en user et en abuser ? Faites donc mes bons Messieurs, tout comme faisaient vos prédécesseurs, mais n’allez pas ratifier une convention qui décrète que faire la pute est « incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine » !
Que d’insolence et de condescendance il y a dans cette convention ! Chacun utilise son corps comme il l’entend car dieu merci nous ne sommes plus au temps de l’esclavage.
Et quelle hypocrisie à vouloir supprimer les putains ! On sait tous qu’elles sont nécessaires, il n’y a qu’à voir les stats : 1 homme sur 8 a déjà été client.

Toulouse Lautrec dans la maison close de la rue des Moulins en 1894
Oui, la prostitution est nécessaire et il n’y a pas que moi qui le dit, même un haut dignitaire de la Bondieuserie du 13ème siècle, à savoir Saint François d’Aquin le disait (mais un peu différemment !) : « La prostitution est nécessaire à la société comme les toilettes à une maison, cela sent mauvais mais sans elles, c’est partout dans la maison que cela sentirait mauvais. »
Il y a va fort le docteur de l’église mais au moins le diagnostic est bon…
Car si l’on revient sur les périodes obscures où l’église interdisait la prostitution, comme ce fut le cas lors de l’apogée des grandes villes au haut Moyen Age, l’ambiance n’était pas très catholique et il fallait chercher longtemps pour trouver la paix du Christ. En effet, les exactions violentes se multipliaient, de jour comme de nuit : entre rixes à répétition, meurtres, viols (surtout les viols collectifs auxquels s’adonnaient allègrement la jeunesse).
Heureusement, l’église dû s’apercevoir que brûler des cierges ou brandir des croix n’était pas très probant, car elle finit par se résoudre à autoriser la prostitution. C’est à ce moment que l’intervention divine se manifesta : on constata une chute notoire de la violence dans les villes.
« Alors, ok pour la réintroduction des catins dans les milieux citadins, mais celle-ci doit s’accompagner d’un suivi strict et de règles tout aussi strictes » déclare l’église. On est loin du lâché sauvage de prostitués en plein bois de Boulogne comme en 2013, voyez plutôt :

Prostituées rue Saint Denis en 1960

Prostituées rue Saint Denis en 2013
– L’objectif : Conserver la bonne morale (oui, moi aussi ça m’a fait marrer, mais attendez la suite)
– Le business model : Créer des lupanars publics et des étuves, l’un étant destiné aux pauvres, l’autre aux riches.
– La stratégie innovante : Situer les bordels près des presbytères, et ériger la Mère Supérieure en PDG.
– Gestion de la ressource humaine : la mère supérieure a les pleins pouvoirs sur ses subordonnées (les filles de joie) et sur sa clientèle. En tant que responsable de la bonne morale, celle-ci doit veiller aux respect des règles sanitaires et vestimentaires.
Je ne sais pas vous mais moi, vu comme ça, je valide ce Business Plan !

Etuves Publiques au Moyen Age
Bon, certes il y a quand même une petite boulette : comme il y a des couvents un peu partout, ben… on se retrouve vite avec des bordels un peu partout ! Et au Moyen Age comme au 21ème, les braves gens n’aiment pas ça du tout…
Heureusement, Saint Louis a déboulé au 13ème siècle et a apporté la solution. Il fallait bien un saint pour cacher tous ces seins que l’a population ne saurait voir…
Pour être franche, je n’aurais pas parié sur ce cheval-là à ses débuts. Déjà, qu’il s’auto-cravache avec des chaînes (lire Trésor de Notre Dame) m’a laissée très circonspecte, mais qu’ensuite il se cabre devant la prostitution, au point de lui décrocher une fatale ruade, c’est à dire totalement l’interdire, tsss, tsss !
Finalement notre Saint destrier, loin d’être une vieille bourrique, comprends que la course à la bonne morale ne se gagnera pas de cette manière. Il revient a de plus sages dispositions, et ré-ouvre les maisons closes tout en solutionnant le souci précédent : il les regroupe en dehors des villes (à Paris, c’est juste derrière les remparts de Saint-Auguste malheureusement disparus). Ces lupanars de bord de villes prennent le nom « bordel ».

Au Salon de la rue des Moulins, Toulouse Lautrec
Encouragé par sa victoire, il y ajoute quelque cabrioles fantaisistes : il décide que toutes les catins doivent être teintes en rousse. Ainsi, on ne peux pas faire genre on savait pas. (donc maintenant, Mylène Farmer, Jessica Chastain, etc. : vous savez !)
Voilà… nous ne sommes qu’au 13ème siècle et le concept de la prostitution dans des maisons closes semble déjà avoir été étudié, testé, amélioré, légiféré, etc. de manière convaincante par des experts, avant tout gardiens de la bonne morale, de la paix civile comme celle des ménages.
Alors qu’est ce qu’on attend au 21ème siècle, bordel ?
Ah oui, c’est vrai ! il semble qu’en France on préfère faire des salles de shoot pour une poignée de clodos défoncés que des maisons closes pour des femmes vulnérables et précaires…
Faisant suite à l’Art du Nu, voici un sujet au « poil », pour nous y replonger justement… dans le poil pubien, le poil pas bien, bref …
Chers spectateurs, merci d’être de nouveau parmi nous pour ce troisième acte. Je salue votre ouverture d’esprit, votre résistance morale et votre appétit lubrique (ça …
Chers spectateurs, veuillez regagner vos places pour la deuxième partie de l’opéra « It’s Sade, so sad », entièrement composé et joué par… Sade. Si pour …
Voilà bien une visite-conférence comme je les aime : il y a du poil pubien, de la cellulite aux cuisses et de la fesse bien rebondie. …
Des jardins à l'italienne, tels de petits soupirants, se pressent au pied d’une belle demeure renaissance alanguie. Plus loin, un immense lac étend son miroir …
Ce qu’il y a de bien avec le marquis de Sade, c’est que point n’est besoin d’une longue introduction pour le présenter, le nom dit …
Excellent cet article. Bravo Madame !
Que de bon sens! vous avez le tour du sujet de façon magistrale.
Bonjour,
cet article est très intéressant mais vous omettez, selon moi, de traiter quelques points :
– La prostitution a bien changé depuis le milieu du XXe. Il y a le problème des macs, des filles de l’est qui n’ont pas forcément envie de faire ce job, et du fait que créer des endroits adaptés pour que les prostitué.e.s pratiquent leur métier n’a pas résolu toutes les dérives, loin de là (à lire : http://www.lemonde.fr/style/article/2011/12/23/pays-bas-flop-de-la-legalisation-de-la-prostitution_1621755_1575563.html) . C’est-à-dire que dans votre article, je remarque en règle générale que vous n’abordez pas la question de la contrainte et cela m’embête un peu. Bien que je sois totalement d’accord avec vous sur le fait qu’isoler les prostitué.e.s en les forçant à exercer leur métier loin des villes et donc des zones « protégées » est la pire des choses qu’on ait pu leur faire depuis des années.
– La prostitution, un « mal nécessaire »? St Thomas d’aquin était certes un grand philosophe, mais j’ai personnellement toujours préféré Nietzsche. L’homme (individu de sexe masculin) est-il un animal, qu’il a besoin de se vider les couilles fréquemment sans pouvoir se retenir? S’il ne le fait pas, en vous lisant, on comprend qu’il est censé se ruer vers n’importe quelle femme pour la contraindre. Or, c’est avoir une bien piètre imagine de l’homme que de penser qu’il puisse se comporter ainsi. De plus, d’où viennent vos chiffres et de quand datent-ils (« un homme sur 8 a déjà fréquenté les putes »)? Et donc, il y aurait des filles bien, convenables, celles qu’on marie, et puis les autres, souvent de basse extraction sociales, qui se prostituent pour gagner leur vie et satisfaire à ce besoin de l’homme qui ne peut pas se contenir, et qu’on tient même à distinguer absolument du reste de la population, en lui teignant les cheveux en rouge (et pourquoi pas en lui collant une étoile de David sur l’épaule, tant qu’on y est? C’est quasiment la même chose, paie ta ségrégation sociale), voire à l’en exclure physiquement (enfermement dans les couvents, dans les lieux spécialisés etc). Tout ça pour satisfaire aux bonnes moeurs finalement : ne pas déranger le bon bourgeois comme vous dites, mais en même temps chercher le meilleur moyen pour ne pas qu’elles soient trop en dehors, et en même temps qu’elles ne puissent pas se fondre dans la masse… c’est… discutable.
Qu’en pensez-vous? Voici un bien vaste débat qui dépasse de loin votre article, qui représente cependant un point de vue intéressant de la chose, bien qu’à mon goût trop réducteur.
De plus, vous incriminez en fin d’article les salles de shoot qui devraient ouvrir prochainement en France. Mais vous ne développez pas davantage sur le sujet. Pourquoi? C’est dommage, car les salles de shoot représentent un lieu d’accueil pour des personnes souffrant d’addiction, et qui leur permet à la fois de trouver de l’aide, d’avoir accès à du matériel convenable, de ne pas avoir à se shooter dans des conditions difficiles, et, à long terme, par le biais de la relation d’écoute qui se créée avec les professionnels, d’avoir accès à des substituts et donc de s’en sortir. En quoi ces personnes mériteraient moins d’aide de notre part que les prostituées?
Je vous souhaite une bonne journée, au plaisir de vous lire!
Légaliser la prostitution oui mais pourquoi une maison close forcément? A l’heure d’internet, est-il besoin d’une mère maquasse ou d’un proxénète pour proposer ses services? N’est-ce pas ce que font déjà certaines sous l’appellation plus « chic » d’escort girl?
Quant au statut, on pourrait envisager ceux de l’auto entreprise, l’EURL ou la SARL.
article trés intéressant, merci Madame…..
Cher (e?) M.V.Grey, et autres amis lecteurs,
Voici un sujet aussi polémique qu’inépuisable : le Bordel et ses Putains, ou devrais-je dire le bordel des Putains !
Ne pouvant malheureusement pas relater tout ce qu’il y aurait à dire sur ce vaste mais obscur sujet, j’ai pris le parti d’éclairer au faible rayon de ma petite chandelle historique quelques vérités issues du Moyen Age.
Je suis donc ravie que vous mettiez en lumière d’autres aspects et d’autres points de vue ! Car finalement tout n’est qu’une question de points de vue…
Cher FD,
J’ai peur que ce ne soit une vision quelque peu idéaliste… la maison close n’est pas pour limiter la liberté d’entrepreneur de ces femmes, mais bien de les protéger des proxénètes sans scrupules, ou des clients trop violents par exemple.
Finalement, on en revient à une pensée plus classique, la liberté (d’entreprendre ?) est à promouvoir mais il faut des cadres de contrôle de son usage, car trop d’hommes ne sont naturellement pas bons…
En partie d’accord avec cet article : le délaissement des prostituées, leur éloignement des cités, une « profession » non reconnue, (pourchassée, mais légale)…
Par contre, je note l’oubli des formes « contraintes », qu’elles soient du fait d’un proxénète ou plus simplement de leur situation sociale. Ces femmes (et hommes) sont des ouvriers qui méritent un minimum de respect, alors pourquoi ne pas utiliser le mot « prostitué », certainement plus conforme à celui de « pute » ou « putain » largement plus utilisé aujourd’hui pour désigner une personne qui obtient quelque chose via la ruse ?
Un très bel article, merci ! J’avoue souvent penser que les bordels étaient une façon moins hypocrite de gérer la prostitution et que, bien tenus, ils protégeaient les filles des maladies et des gros pervers.
Nouveau sur cette page, une très belle galerie, agréable à lire et à regarder. Un nouveau regard ! Merci beaucoup, Denis